Chapitre 4 :

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On l'habilla d'une robe bleue aussi azurée que le ciel quand le soleil brûle les paysans qui travaillent encore en fin de matinée. On coiffa ses longs cheveux roux en une structure complexe de tresses et de chignons qui lui faisaient l'effet d'être un sale cabot de jeune fille noble qui s'amuse à l'exhiber. Elle détestait ce château aux briques blanches vulgaires, envahi par endroit par du lierre tenace. Ariette imaginait comment elle pourrait s'éclipser de la demeure royale pour essayer de fuir, loin, se trouver un petit village calme pour y passer des jours heureux. Après tout, le Darmüs ne pourrait jamais la retrouver, ou, en tout cas, elle n'avait pas connaissance d'un sort de magie qui puisse la traquer d'où qu'elle soit.

Devant le miroir d'argent, elle tenta de reprendre contenance. Mais, c'était une mascarade qui ne l'amusait pas. Elle avait tant rêvé de ce genre de robe, aujourd'hui, maintenant qu'elle en portait une, elle avait envie de vomir. Le tissu, doux et agréable au toucher, semblait la brûler de toutes les façons possibles. Elle frissonna. Et puis, après le banquet, elle savait très bien ce qu'il se passerait. Après les mariages, on sait tous que les noces arrivent. C'est le moment de bonheur où les amants se câlinent jusqu'à la mort de la nuit dans la chaleur de leur lit.

Ça n'avait rien de chaleureux, ni de l'idée qu'elle se faisait du bonheur. Ce serait le froid et diabolique Darmüs et elle, incapable de se défendre face à lui. Qui plus est, ses appels au secours sombreraient dans des oreilles conciliantes. Elle souhaiterait presque que la nuit ne tombe jamais sur le monde. Si le rideau des ténèbres s'abaissait aujourd'hui, ce serait la guillotine sur sa vie et son cou.

Ses jambes tremblaient. La porte s'ouvrit silencieusement, elle sut que c'était lui. Pas besoin de se retourner. Pas besoin de voir ses yeux jaunâtres. Pas besoin de contempler sa queue fourchue ou ses cornes de bouc. C'était lui. Muet, il attendit un moment, puis Ariette le sentit qui regagnait une autre pièce. Pourtant, c'était un court répit. Tôt ou tard, ses serres envahiraient son corps, il dévorerait son âme et en rirait. Elle connaissait toutes les histoires de démon, nul besoin qu'on les lui rappelle. En plus, elles revenaient avec la vivacité de l'événement d'aujourd'hui. Elle caressa son pendentif pour se rassurer, mais c'était relativement inefficace pour calmer son trouble et son tracas.

Peu après, une jeune femme se présenta dans sa chambre :

—Je suis Rose, sa Majesté Irnivra vous fait savoir que je serais votre dame de compagnie et liseuse personnelle.

—C'est fort aimable de sa part ...

—Vous êtes attendue, Comtesse.

—J'arrive, prononça-t-elle faiblement.

—Je ferais en sorte qu'il ne partage pas votre couche, ce soir, affirma Rose.

—Co-comment ?

Ariette se tourna vers le visage illuminé d'espoir de la servante qui lui souriait de toutes ses dents. Elle avait les jolis yeux brillants de celle qui possède la plus belle foi du monde :

—Vous êtes malade, voilà tout. J'insisterais pour dormir tout près.

—Penses-tu que cela marchera ?

—Je ferais tout pour. Je sais bien que je peux être impuissante, surtout face à lui, mais je ne vous laisserais pas tomber, Comtesse.

—Je te prie, ne m'appelle pas ainsi. Il y a quelques heures encore, je n'étais qu'une simple paysanne.

—Sa Majesté Irnivra ne me permettrait pas. Dès que nous serons seules, je vous obéirais. Maintenant, allez vous régaler, goûtez à la viande rôtie.

Rose lui attrapa la main et l'accompagna jusqu'à deux grandes portes de bois stylisées par des représentations du lointain passé. Deux gardes lui ouvrirent et un homme, tout près, annonça pompeusement :

—La Comtesse des Terres Cendreuses !

Malheureusement, Rose ne pouvait pas venir plus loin. Prenant tout son courage tremblant, Ariette s'avança et s'installa près d'Irnivra qui lui avait fait signe. Bougre Dieu, quelquefois, elle appréciait sa présence, parfois, elle la trouvait affreusement hors de son rôle de reine ! Quelle était donc cette façon si vulgaire de se comporter ?

La souveraine portait une robe de dentelle noire trop révélatrice et ses lèvres brillaient de la lueur rouge du maquillage. Ariette s'en offusquerait presque, surtout si elle était le roi. Pourtant, Edgar semblait fort occupé à discuter avec le Darmüs. Ce dernier se contentait de l'écouter, à dire vrai, en le voyant interagir avec le monarque, Ariette se demanda s'il était à même de parler le même langage et si c'était là un dialogue ou un monologue de la part du roi.

Le buffet était somptueux, jamais Ariette n'avait contemplé tant d'amas de nourriture. Son envie de vomir monta grandement en contemplant les assiettes surchargées en repas plus alléchant les uns que les autres. Irnivra la servit et l'encouragea à manger, ça tomba dans l'oreille d'une sourde. Dans d'autres circonstances, la paysanne aurait sûrement goûté à tout cela avec appétit et curiosité. Maintenant, la faim lui échappait, presque autant qu'elle souhaitait fuir son destin.

Le temps passa avec la lenteur de la décomposition d'un cadavre en plein hiver, mais, bien vite, la plupart des invités s'en allèrent se coucher, y compris le Darmüs et le roi. Alors qu'il ne restait que quelques ivrognes plongés dans leur propre monde, Irnivra lui tendit un petit fruit rouge :

—Mangez-le, ordonna-t-elle.

—Je n'ai pas faim.

—Faites moi plaisir, voulez-vous.

Irnivra attrapa son menton et lui offrit l'aliment à croquer avec la sensualité d'une épouse pour son mari, Ariette se sentit rougir et finit par le dévorer. Le goût explosa dans sa bouche, sucré et délicieux. Du jus coula sur son menton et la reine l'essuya d'un doigt distrait avant de le lécher :

—Cela vous fera du bien.

Parfois, Irnivra ressemblait à une terrible sorcière ensorcelante pactisant avec le diable pour des pouvoirs magiques et pour tout dominer de son regard noir envoûtant. Sa peau pâle semblable à de la dentelle pure donnait envie qu'on la griffe pour la tâcher de sang et de douleur. En se l'imaginant, la nouvelle mariée s'en sentait outrée. On ne devait pas penser à de telles choses sur sa reine ! Sur n'importe qui d'ailleurs ...

La souveraine intervint, coupant court à son flux de réflexions :

—Mangez-en encore.

Ariette lui obéit sans trop y réfléchir, ou peut-être qu'elle y pensa tant que cela devint un désordre dénué de tout sens et c'était difficile de songer à tout cela. Elle voulait juste la tranquillité, elle voulait retrouver la routine de la ferme, et la beauté de l'automne dans son petit village perdu près d'un bois.  

Coeur d'Or (Seconde Version)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant