Chapitre 9 :

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De la lave ne refroidissait pas dans son ventre et bouillait de plus en plus, elle restait alitée pour tenter de calmer sa douleur. Malheureusement, plus les jours avançaient, plus la souffrance croissait. Rose veillait, impassible et courageuse à son chevet pour lui passer un linge glacé sur le front. Ariette avait hurlé parfois, mais elle avait cessé, complètement dépossédée de toute énergie. Elle se mordait les lèvres pour se retenir de gémir. Maintenant, elle tournait son regard vers l'immense fenêtre et l'océan de verdure qui s'étendait sans fin. Elle y trouvait un certain réconfort.

—Mes parents ne seront même pas au courant ... chuchota-t-elle.

—Vous ne mourrez pas. J'ai demandé ... à Monsieur de vous appeler un docteur. Ou un mage.

—Il ne parle pas. Il ne ressent rien.

—Oui, c'est vrai. Mais je pensais qu'il aurait un peu d'empathie pour vous. Vous êtes son épouse, tout de même !

—Ces mots ne veulent rien dire pour lui. Il ignore ce qu'est un mariage. Il a juste accepté le pacte du roi, sans se questionner.

—Taisez-vous, gardez vos forces, ordonna gentiment Rose.

Il ne lui restait donc plus qu'à imaginer. Elle se sentait si mal, impuissante et faible. Surtout faible, toutes ses forces disparaissaient peu à peu. Elle haïssait cette sensation.

—Va te coucher dans ta chambre.

—Vous êtes folle ! Vous laissez seule, dans cet état ?

—Oui. Cela fait des jours que tu n'as pas dormi non plus, comment veux-tu veiller sur moi sans repos ?

—Je refuse, affirma la servante en lui attrapant la main.

—Fais-moi plaisir. Repose-toi bien cette nuit.

—Très bien, si vous insistez, concéda Rose.

Ariette n'avait pas eu le temps de visiter le Château, quelque part, sa nouvelle prison pour les mois, ou semaines à venir. Elle aurait souhaité plus que tôt s'installer sur les belles murailles de pierres sombres pour contempler la nuit qui se lève silencieusement. Ainsi que les étoiles, pures et brillantes, celles qui prédisent de mauvais destins ou de tendres avenirs. Elle ignorait ce que les astres murmuraient à son propos, elle espérait seulement qu'elles la pensaient bientôt morte. Qu'enfin, la douleur s'évanouisse.

Rose refusait de discuter des activités du Comte, prétextant qu'elle n'était pas en état de l'écouter, ou que ça la torturerait. Elle n'avait pas tort, mais Ariette donnerait tout pour qu'on lui parle du monde extérieur. Elle rêvait de dérober la place du Darmüs, d'ouvrir en grand ses ailes et de se jeter de la plus haute tour du château. Elle imaginait apprécier chaque courant d'air contre ses joues, dans ses cheveux, puis de battre les ailes pour prendre son envol. Et alors, elle verrait, en bas, minuscule, l'immense bâtiment s'éloigner. D'un mouvement, elle retournerait chez elle, dans sa tendre routine. Elle referait ses tresses, se lèverait le matin pour ramasser les œufs dans le poulailler. Elle regarderait les bûcherons de son âge en pensant que, peut-être, ils feraient de bons époux. Elle irait ensuite à la messe, pour se faire bénir et prier Saint-Thomas. Elle supplierait les anges de tuer les démons et rirait de la mort de son désormais compagnon. Elle brûlerait son corps empli de magie sombre et verrait ses chaînes s'évanouir dans les airs.

Oui, elle rêvait, c'était bien la seule chose qui lui restait. Si les cauchemars s'étaient calmés quelque peu, ce n'était pas le cas de la douleur. Elle se demandait parfois ce qui était préférable. Ses lamentations duraient jusque tard dans la nuit, et, même à ce moment-là, elle observait la lune. Elle n'avait plus revu le Darmüs depuis des jours, cela ferait bientôt une semaine qu'elles étaient ici. Elle souriait à l'idée de ne plus le voir, taisant son sentiment de lui demander d'achever ses souffrances.

Elle tentait de se raccrocher à tout ce qu'il était possible de s'accrocher. Pour le moment, il n'y avait que Rose. Néanmoins, la dame de chambre ne dormait pas et veillait constamment sur elle. Si elle souffrait, elle refusait d'entraîner quelqu'un d'autre dans sa chute vers la mort. Elle haïssait voir celle-ci penchée sur elle avec autant d'inquiétude dans le regard. Elle aurait souhaité que toutes deux affrontent les épreuves ensemble, fortes et solidaires.

Au départ de cette dernière, après que le soleil ait disparu derrière des montagnes lointaines, Ariette prit son courage et se leva pour fermer sa porte à clé. Cela lui demanda un effort surhumain, mais elle ne regrettait pas. Qu'on la laisse mourir dans le silence et le confort d'une petite chambre. Elle sentit des larmes froides couler le long de ses joues. Elle espérait que personne ne puisse entrer dans son sanctuaire funéraire, la mort, oh, oui, la mort. Qu'elle vienne, que sa silhouette sombre et belle s'abaisse pour lui offrir un tendre et chaste baiser. Puis, qu'elle la prenne par la main pour l'emmener au-delà, au-delà de la vie, de la mort, bien loin. Aussi loin que possible de ses tracas, de sa maladie, de sa souffrance, de sa peine. Qu'elle soit inaccessible à son mari, que jamais plus il ne pèse son lourd regard sur elle. Que plus jamais il ne la contemple et pense à elle. Plus jamais. Que cela n'arrive plus jamais.

Loin, très loin du démon. De la vie. De l'immatérialité de la mort. Ainsi, Ariette sourirait à nouveau. Elle sourirait, elle ne souffrirait plus. Jamais plus. Elle accueillerait son sort avec une telle joie pessimiste que même la mort sourirait en la voyant l'embrasser telle une bonne amie de longue date. Ariette connaissait la mort pour l'avoir croisé quelques fois.

Dans le village, il n'était pas rare qu'un voisin décède et que l'on soit invité à lui adresser ses hommages. Qu'on offre à sa famille un peu de réconfort quand on leur apprendrait son mauvais sort. Elle espérait qu'ils puissent sourire à cette terrible annonce en pensant, qu'au moins, elle n'avait pas souffert longtemps.

La détresse éloignait ses doutes quant à son sort à venir. Le désespoir inondait son cœur d'un millier de larmes précieuses qu'elle ne prit plus la peine de conserver tel un trésor. À quoi bon ? Quand la mort guette, tout perd de sa préciosité.

Elle ferma les yeux, dans les abysses de la nuit. Elle plongeait au plus profond de la couleur noire. Elle espérait qu'aucune lueur dorée démoniaque n'y fasse son apparition pour la secourir et la torturer. Que la mort vienne, qu'elle vienne lui prendre la main fermement. Elle souriait paisiblement, prête à s'endormir pour l'éternité.  

Coeur d'Or (Seconde Version)Where stories live. Discover now