CHAPITRE 4: L'ORIGINE D'UN MAL

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MATANTE NICOLE

Nicole, on l'appelait matante, mais en fait, c'était la cousine de ma grand-mère. Les deux ensemble, elles s'offraient des parties de Yum, Yahtzee ou un jeu de cartes pendant qu'elles fumaient comme des cheminées.

Elle était constamment invitée aux célébrations d'anniversaires et aux fêtes dans la famille. Elle venait de pair avec ma grand-mère. J'ai toujours aimé matante Nicole pour sa franchise. Elle ne prenait pas de détour pour te dire les vraies choses. Même si tu n'avais que 4 ans.

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Matante Nicole vivait à Rouses Point, un petit village américain à seulement quelques kilomètres de Lacolle. Sa maison était remplie d'antiquités, sûrement achetées dans des ventes-débarras. Dans son hall d'entrée, on ne pouvait pas manquer le pot de paparmane toujours plein sur le bureau.

Chaque jour, au volant de sa vieille Plymouth, elle se rendait chez ma grand-mère. J'aimais y aller pour jouer une partie de Skip-Bo.

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Vers la fin des années 90, elle a tranquillement commencé à perdre la tête. Tout a commencé avec la déconfiture des États-Unis au 4 X 100 mètres des Jeux olympiques d'Atlanta. Je me souviens qu'elle était assise à côté de moi sur notre sofa quand Bruny Surin a levé ses bras en l'air. C'était tout un affront pour elle. On ne l'a plus entendu parler de la soirée et elle est partie fâchée. Même si Matante Nicole était née au Canada, son pays restait The Great United States of America. J'ai toujours cru qu'elle a subi une secousse cérébrale ce jour-là.

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Au milieu des années 2000, jouer à des jeux avec elle est devenu de plus en plus complexe. Parfois, on la laissait gagner, puisque c'était plus simple. Pendant un tournoi de hockey, notre jeu de cartes familial, le tirage avait décidé qu'elle serait ma coéquipière. C'était perdu d'avance parce qu'elle jouait n'importe quoi. Nous avons commencé le tournoi, mais avons été éliminés rapidement.

Pendant notre dernière partie, elle a quand même sorti une phrase de nulle part.

- L'année 86, mon petit garçon, tu veux que je te dise?

- Oui, matante Nicole.

- Une tragédie n'attendait pas l'autre.

Puis, elle a passé d'un coq à un âne.

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Matante Nicole a fini par mourir de son Alzheimer, mais elle avait vu juste. En 1986, il s'était passé quatre événements qui ont changé ma vie. Pour le garçon que j'étais, ce fut mon annus horribilis. Ou comme on le dit en français, l'horrible anus de 1986.

NAVETTE SPATIALE

Au début de l'année 86, j'ai 3 ans. À mon avis, je possédais déjà une certaine maturité. Ce jour-là, j'étais assis sur le divan du salon. Je lisais l'Homme révolté d'Albert Camus. Du moins, c'est le souvenir que j'ai.

Mon père était sur le fauteuil et regardait notre nouveau téléviseur 32 pouces, l'époque où ils pesaient deux tonnes. Papa regardait une émission spéciale sur le décollage de la navette challenger. Il aimait ce type d'événement. Ce décollage, il ne l'aurait manqué pour rien au monde, d'autant plus que c'était le premier voyage dans l'espace pour des civils formés à l'école de la NASA.

Le compte à rebours s'est amorcé en direct de Cap Canaveral. Mon père a récité tous les chiffres un par un. Il m'a encouragé à suivre son exemple. Cependant, je ne l'ai pas fait. Je préférais lire.

Yo Papa! Je n'ai même pas commencé la maternelle, est-ce que je peux juste profiter de la vie et lire mon Camus?

Quand le décompte s'est terminé, j'ai levé les yeux à la demande de mon père. Il souhaitait sûrement que je me souvienne du lancement de la fusée.

Entre la vie et la mort: le parcours d'un inconnuWhere stories live. Discover now