...Après l'autre

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L'air commence à se réchauffer, le printemps pointe son nez avec toutes ses couleurs que je m'apprête à faire voir à ma nièce. Elle les a sans doute déjà vu avec ses parents, mais personne ne lui a parlé de toute ses choses comme je sais le faire. Même si ma belle-sœur ne veut pas l'admettre, je suis l'adulte que Rose préfère.

— Comment se passe ta formation ?

Je lève les yeux vers l'entrée du salon pour trouver Tess qui traîne des pieds jusqu'au fauteuil, une tasse de thé à la main, ses cheveux en nid d'oiseau sur le haut de sa tête.

— Très bien.

J'alterne mes cours avec ma formation pour devenir pompier. C'est intense et je n'ai pas toujours le temps de dormir assez pour être capable de réfléchir correctement, mais je tiens bon. Je veux y arriver. Maintenant que j'ai trouvé ma voie, je fonce. Mais il est hors de question que je laisse de côté mon temps avec Sarah ou Rose.
Je termine d'enfiler le pull de Rose et attrape sa combinaison en la retournant dans tous les sens pour trouver l'ouverture alors que la boule de bave s'agite à côté de moi sur le canapé.
L'air ennuyé, Boomer pose son museau juste à côté de Rose pour qu'elle ne tombe pas. Je jure que son regard me supplie de me dépêcher.

— J'ai un peu peur de te laisser avec mon bébé. T'as vraiment beaucoup de muscles, tu vas l'écraser.

Je lève les yeux au ciel alors que Tess glousse derrière sa tasse. Comme elle ne me voit que le week-end, elle remarque plus facilement la masse musculaire que j'ai développée. Et je n'en suis pas peu fier. Sarah adore caresser mes muscles. Et j'adore retirer mes vêtements pour la laisse faire. Même si ça ne mène pas loin. Elle est vraiment très faible depuis sa dernière chimio et j'ai peur que son opération pour retirer la tumeur ne soit trop épuisante pour elle. J'essaye de garder ça pour moi, de ne pas laisser voir mon inquiétude, mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

— Je devrais peut-être dire à ton mari que tu baves devant mes muscles.

Je contracte mon bras juste pour l'impressionner et m'amuse de la voir rougir.

— Toujours aussi humble ! Je me demande juste où est passé le gringalet qui essayait de partir du café sans payer.

Je me souviens de notre première rencontre, quand elle travaillait au café du centre-ville et que je venais de débarquer en me disant que j'allais faire la loi comme à Detroit. C'était mal connaître mon frère et je ne connaissais pas non plus la femme dont il était complètement tombé amoureux.

— Avoue-le, Tess. Quand tu m'as vu, t'as douté de ton choix.

Je lui adresse un regard taquin et sourit devant son soupir faussement agacé.

— A vous deux, je m'étonne vraiment de ne pas avoir des dizaines de nanas agglutinées devant la porte pour vous admirer.

— Oh, il y en a, mais Drew leur dit d'attendre au bout de la rue.

La gorgée de thé qu'elle s'apprêtait à boire passe de travers et Tess manque de s'étouffer. Boomer se précipite pour l'aider à grands coups de langue sur sa joue. Mon rire couvre sa toux alors qu'elle me fusille du regard une main sur la poitrine pendant qu'elle repousse le chien de l'autre.

— Je devrais te priver de sortie pour la peine.

Je m'apprête à lui rappeler qu'elle n'est pas ma mère mais la porte d'entrée s'ouvre sous les pas lourds de mon frère. Tess et moi échangeons un regard, connaissant parfaitement ce que cache sa démarche alors que Boomer s'avance discrètement vers lui. Sans un mot, Drew range son arme dans le coffre de l'entrée, caché derrière un tableau. Très agent secret. Et ce n'est qu'une fois l'arme en sécurité qu'il accorde une caresse à Boomer et s'avance vers le salon. Un lourd soupire passe ses lèvres avant qu'il ne s'arrête à l'entrée.
Son regard est sombre. Je ne compte plus le nombre de fois où son boulot a réussi à lui faire oublier un instant qu'il est le plus fort de nous deux. Son regard circulaire prend conscience des détails, de notre présence.
À côté de moi, Rose s'énerve parce que la combinaison l'empêche d'attraper son pied. Le visage de Drew reprend immédiatement des couleurs, mais il n'est pas entièrement apaisé avant que Tess ne se lève et le prenne dans ses bras pour poser un baiser sur ses lèvres.
Leur étreinte est solide. L'amour entre eux est l'énergie la plus pure et forte que je connaisse. Pendant quelques secondes, ils se tiennent ainsi, front contre front, et je peux presque voir les batteries de mon frère se recharger. Je ne serai jamais assez reconnaissant à Tess de lui apporter autant de paix.

— Je vais te préparer un bain, annonce ma belle-sœur avec un dernier baiser.

Drew ouvre les yeux et croise son regard avec une tendresse que j'ai fini par m'habituer à voir.

— Tu vas te promener avec Rose ?

Tess secoue la tête et le regard de Drew se tourne vers moi. Je vois la reconnaissance dans ses yeux et à la façon dont il s'accroche à Tess, je comprends qu'il a besoin d'elle. Je sais ce que c'est. Je sais la douleur de vouloir quelqu'un si fort que notre respiration en est difficile.

— T'as besoin de quoi ? Une heure ? Trois heures ? Une chambre d'hôtel ?

Mon regard langoureux ne laisse pas de doute sur mes sous-entendus. Tess secoue la tête en allant vers les escaliers, habituée à ce que je les taquine sur leur vie sexuelle, mais les paroles de mon frère l'arrêtent en chemin.

— Autant de temps que possible. Tu peux même garder Rose ce soir.

Il vient prendre sa fille dans ses bras et presse son nez contre son ventre avant de poser des bisous partout sur son visage joufflu. Le bébé agite ses quatre membres en gloussant.

— On sort ? s'étonne Tess.

Mon frère se retourne et prend le temps de la dévorer du regard avant de répondre :

— D'abord le bain, et ensuite on verra si on arrive à quitter la maison.

Le regard qu'ils échangent est presque gênant. Mais j'éclate de rire en voyant ma belle-sœur monter les marches deux par deux alors que mon frère serre Rose dans ses bras. Le soupire qu'il lâche une fois que sa femme n'est plus dans les parages en dit long.

— Dure journée ?

Tout en enfonçant le biberon dans le sac, je jette un regard en coin à mon frère. Il n'a pas pour habitude de parler de tout ce qu'il se passe dans son travail. Mais parfois, c'est trop lourd pour le garder pour soi. Sa grimace n'a pas besoin de plus de mots. Rose pose sa tête sur son épaule, son nez contre son cou. Bon, d'accord, peut-être qu'elle aime son père un tout petit peu plus que moi.

— Une femme est morte ce matin, dit-il d'un ton sinistre.

Je soupire et repousse le pincement dans ma poitrine. Des décès, c'est inévitables, mais si mon frère est dans cet état, j'en devine facilement les circonstances.

— Son mari ?

Drew hoche le menton puis pose un baiser sur la joue de Rose et caresse ses cheveux. Sa main englobe pratiquement toute sa tête.

— Les voisins s'en doutaient mais n'ont pas pu la convaincre de partir et porter plainte.

Il passe une main dans ses cheveux et soupire encore. Malgré tout ce qu'il fait pour rendre justice, mon frère ne pourra jamais sauver toutes les femmes maltraitées, comme notre mère. Notre géniteur a beau moisir en prison, ça n'apaise pas la colère que je ressens à chaque fois que je pense à lui. J'aimerai pouvoir l'effacer de mon esprit, mais ma mémoire refuse de m'accorder ce privilège. Même quand j'étais amnésique, cette partie de ma vie n'a pas voulu s'effacer.

— C'est bientôt son anniversaire.

Son sourcil dressé contraste avec sa voix sinistre. Je termine de remplir le sac à langer et le referme avant de tourner vers lui l'air le plus détaché que j'ai en stock.

— Je veux emmener Tess et Rose sur sa tombe, poursuit-il sur le même ton.

— Et tu veux que je vienne avec vous ? Pour regarder une pierre et parler au vent ?

Ses lèvres se pressent en une fine ligne de déception. Mais même si j'essaye de ne plus le décevoir, je ne peux pas me résoudre à le suivre. Retourner à Detroit, aller dans ce cimetière, être face à sa tombe. À quoi bon ?

— Je garderai la maison.

Une année pour me reconstruireTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang