Action !

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Le temps s'est arrêté. Je suis là, figé. J'ai l'impression de voir un film en noir et blanc de mon passé. Il faut que j'avance. Je dois traverser la rue. Aller les voir. Aller LA voir. J'ai tellement de question et surtout de colère qui grouille au fond de mon estomac. Ma poitrine me fait mal. Sans doute parce que j'ai arrêté de respirer.

— Kyle ? s'inquiète la voix discrète de Tess qui s'approche d'un pas.

Mais c'est trop. Trop soudain. Trop vite. Trop douloureux. Je suis pathétique. C'est impossible. Je ne peux pas. Je ne veux pas. Qu'ils aillent tous se faire foutre ! J'en ai assez !

Ignorant Tess, je m'éloigne d'un pas rapide, ne me préoccupant pas des appels de mon frère, jusqu'à me mettre à courir. Sous le soleil de plomb, sans aucune volonté à part celle de tout oublier, je cours le plus vite possible. Je n'ai qu'un but, mon cerveau s'est bloqué sur cet objectif et rien d'autre ne pourra me faire changer d'avis. Quand on a un passé tel que le mien, on sait exactement où aller pour acheter sa dose. Je ne vais pas m'arrêter. Je n'en ai plus rien à faire. Je veux juste m'abrutir au point de ne plus rien ressentir.

Mes pieds s'arrêtent dans un quartier peu fréquentable de la ville. La différence avec le centre, ses beaux immeubles et ses charmantes boutiques, est saisissante. Ici, ce ne sont que des blocs gris, des maisons délabrées, des barreaux aux fenêtres et des voitures en piteux état. Un autre monde. Un monde que je connais bien. J'en ai fait partie, au grand damne de me frère qui a lutté pendant des années pour m'en extraire. Jusqu'à tout quitter pour changer de ville.

Mon passage est suivi par les regards insistants de certains jeunes. Ça me rappelle tellement mon adolescence. Je ne sais pas combien de temps je passe à explorer les rues. J'ai attiré l'attention et déjà repéré trois vendeurs potentiels. Si je me présente avec de l'argent, personne ne me posera de question. Un gamin des beaux quartiers qui vient dépenser ses tunes, c'est une affaire en or. A Détroit, je ne misais que sur eux. Avec mon look de gentil garçon, c'était facile de les amadouer. Les fils à papa accros à la poudre reviennent toujours. Ils n'ont aucun scrupule à voler leurs parents quand leur compte vient à s'assécher. Dans l'esprit de ces dealers, c'est ça que je représente. Une porte-feuille sur pattes. Une poule aux œufs d'or.

— Hé ! Toi ! lance une voix trop jeune.

En regardant autour de moi, je n'arrive pas à savoir d'où elle vient. Serait-ce un souvenir de mon enfance ?

— A ta droite ! s'amuse-t-il.

Derrière un buisson sec à côté d'une barrière bancale, entre deux maisons aux murs moisis, un gamin me fait signe de le rejoindre. Je ne lui donne pas plus de 13 ans. A peu près l'âge que j'avais quand j'ai commencé à dealer.

— Tu t'es perdu ? me demande le gamin avec amusement.

Mais je ne manque pas ses yeux qui analysent rapidement ma tenue. Baskets blanches, short beige, t-shirt noir, lunettes de soleil. La panoplie du parfait petit étudiant friqué.

— C'est difficile de se perdre jusqu'ici, répliqué-je d'un ton morne.

Le gamin s'en amuse et me jauge sans la moindre discrétion. Il a l'air de s'y connaître. Devenir sympa, amadouer le poisson, puis lui proposer un deal. Je n'ai jamais touché à ce que je vendais. Si on se laisse prendre, on fini par passer de l'autre côté de la table et ça, il ne faut jamais le faire. Le plumeur qui se fait plumer. D'après le regard brillant du gamin et son teint gris, j'ai bien l'impression qu'il n'a pas eu le mémo. C'est une autre technique des dealers. Rendre leurs pions accros pour qu'ils aient toujours besoin de se trouver des acheteurs. Ça me fout en rogne. Un garçon si jeune, avec la vie devant lui. Maintenant il va devoir lutter contre la drogue et survivre assez longtemps pour prétendre avoir un avenir. C'est rageant.

Une année pour me reconstruireWhere stories live. Discover now