Ombres (exercice cours d'écriture S2)

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Ici, ce n'était pas un bonus, mais notre cours principal d'écriture de Semestre 2. Nous n'avons pas vraiment eu l'occasion d'en faire beaucoup, parce qu'il y avait pas mal de grèves qui tombaient évidemment le jour de notre cours d'écriture... Mais nous avons quand même pu faire quelques exercices.

A mon grand damne, le lien sur lequel je comptais pour récupérer tous mes textes n'est plus valable, mais j'ai réussi à récupérer deux ou trois textes que j'avais noté ailleurs

Pour ce texte là, nous avions une heure je crois ? Pour nous balader dans le parc à côté de ma fac, et pour noter un peu des choses intéressantes pour écrire dessus après.



Sommes nous d'accord sur un point, c'est que lorsque le manque d'inspiration s'impose, il est d'idée courante de changer d'air et d'horizon pour voir le monde d'un œil nouveau. Et j'ai beau être tout à fait d'accord sur le concept, le fait est qu'il est faux. Tout simplement parce qu'une fois que j'ai fait dix fois le tour de la prairie qui borde ma maison, que je connais chaque sapin de la forêt par cœur et que j'ai traversé la moindre mini ruelle de mon petit patelin paumé au fin fond du monde, j'ai pu contacter que l'air et l'horizon de ces quelques kilomètres à la ronde étaient les mêmes. Exactement les mêmes.

Donc, comment vous dire que dans les cas comme aujourd'hui où le syndrome du crayon blanc a décidé de me pourrir la journée, il n'y a pas grand chose que je puisse faire pour y remédier.

Alors j'étais là, avec mon calepin de feuilles A4 petits grains et mon crayon sec, assis en tailleurs sur mon lit, à observer mon chat qui dormait le ventre en l'air, et puis d'un coup, ça m'est venu. Je n'ai pas de voiture, mais Mitterrand merci, les TGV existent. Certes, les billets coûtent une blinde, de surcroît le dimanche. Mais ça devait bien faire une semaine que je n'avais pas dessiné le moindre trait, alors les grands moyens s'imposent. Les grands transports, pour être plus précis.

La gare du terminus était bondée. J'aurais pu m'asseoir sur un banc moyennement propre et dessiner la foule, jouer sur les lumières, sur le mouvement, mais ça me paraissait un peu trop simple. Les gens, ce n'était pas ce qu'il manquait sur terre, j'aurai d'autres occasions dans des endroits plus esthétiques. Non, il me fallait quelque chose de plus original. En fait, dans l'idéal, j'aimerais dessiner quelque chose d'ordinaire mais que personne ne remarque. Vous savez, comme cette balle de tennis qui fait tâche dans un salon de bourgeois, mais que personne ne voit parce trop occupés à papoter du dernier sac à main de chez Gucci. Ou ce petit raté sur un gâteau de pâtissiers, mais la crème aux fruits rouges est si délicieuse que personne n'y fait attention. Oui, voilà, j'ai envie de dessiner des détails qui échappent aux yeux de tout le monde.

Dehors, il faisait froid. En fait, pas si froid, mais il y avait du vent. Et je pense que nous sommes tous d'accord pour affirmer que le vent, c'est chiant. De face, ça nous ralentit ; de dos, ça nous glace la nuque ; et de côté, ça nous colle les cheveux en plein visage, ou ça nous balance des poussières dans les yeux. Au choix.

Bref. Puisqu'il y avait du vent et que je n'avais aucune envie de marcher cent sept ans, j'allais me trouver un endroit pas trop loin d'ici. D'un côté, il y avait la route, et de l'autre un petit parc. Bon, eh bien le choix était vite fait.

Le parc était petit, vraiment petit. J'en faisais le tour en dix minutes. C'était ridicule. J'étais venu pour rien. Il y avait quoi, quelques arbres et des buissons, beaucoup trop de pigeons et des capsules de bières qui se mélangeaient aux graviers. C'était du déjà vu. Un parc restait un parc. Il n'y avait rien à voir ici. Rien à en tirer.

Aux alentours, c'était un peu plus coloré. J'étais resté une bonne demi-heure dans un joli café, j'avais pu dessiner quelques pâtisseries qui trônaient sur le comptoir. Mais c'était quoi, une demi-heure, sur tout un après-midi ? Je n'avais pas fini, il m'en fallait encore.

Les rues n'étaient pas belles. Il y avait bien la place centrale, mais je ne trouvai pas de bon angle pour la dessiner.

J'ai donc erré ainsi pendant des heures, revenant sur mes pas, prenant de la hauteur ou au contraire, sous les ponts, sous la terre. Mais les pages de mon carnet n'avaient pas été bien salies. C'était déprimant.

Il était dix-sept heures lorsque je décidai de rentrer chez moi, dépité. mon train partait à dix-huit, et je n'avais franchement pas envie d'attendre une heure immergé dans les bruits ambiants bien trop forts. J'aurai mal à la tête, et je n'avais pas besoin de ça, merci bien.

Alors j'ai attendu dans le semblant de parc. Rien n'avait bougé, il y avait toujours autant de pigeons, et aucun arbre n'avait miraculeusement poussé entre-temps. Il y avait du vent, mais maintenant il commençait à faire froid. Vraiment, la prochaine fois, j'éviterai de dépenser mon argent de poche dans une sortie qui n'en valait clairement pas la peine.

Les nuages cachèrent un instant le soleil avant qu'ils ne s'éparpillent à nouveau dans le ciel, et c'est à ce moment précis, alors que mes yeux boudeurs scrutaient le sol à la recherche d'une fourmi, d'un mégot, de n'importe quoi mais de quelque chose, que j'ai su ce que j'allais dessiner.

Je relevai la tête. Oui, il y avait bien quelques branches, c'était chose logique lorsque l'on s'asseyait au pied d'un arbre. Je baissai la tête. L'ombre des branches.

Un nouveau nuage, et les ombres disparurent. A nouveau le soleil, et elles se dessinaient à nouveau sur le sol inégal.

C'était beau. C'était beau, et c'était surtout très simple, tout bête. Mais je regardais toujours en l'air, si bien que ce qu'il y avait sous mes pieds m'échappait.

C'était exactement ça. Quelque chose qui était là mais qu'on ne voyait pas.

J'attrapai mon crayon en vitesse et me mis à griffonner. Sur le sol s'étendaient des lianes d'obscurité, qui s'entremêlaient, se courbaient, se croisaient, se suivaient. J'avais devant mes yeux une mosaïque de traits, certains fins, d'autres épais. Je dus m'arrêter plusieurs fois lorsque de nouveaux nuages passaient leur chemin.

Il y en avait partout. Maintenant que je les avais vues, ces ombres rampantes, je ne voyais plus que ça. Dans l'herbe, sur le petit muret, même dans l'eau de la fontaine.

Je ratai mon train de dix-huit heures.

Je repense à quelqu'un qui m'a dit un jour que les hommes marchaient la tête basse et ne voyaient pas ce qu'il y avait en l'air. Je l'avais écouté, et j'avais regardé en l'air, en oubliant pourquoi les hommes marchent toujours la tête basse.

C'est probablement parce que, même en bas, il y a quelque chose à regarder.


Fin

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