Chapitre 1 Carter, 4 ans.

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Encore une journée de plus où les souvenirs passent et repassent dans ma tête comme un vieux film usé. 4 ans. Déjà 4 ans. 4 ans qu'une partie de moi m'a quittée, par ma faute. 4 ans que j'ai l'impression qu'il me manque un poumon pour respirer, 4 longues années à me rejouer le film en boucle, à esquisser tous les « et si » possible et imaginable. Avant cette tragédie, je pensais chaque jour avoir des problèmes, des petits riens qui venaient bousculer mon quotidien, mais qui prient dans une vie sans histoire me paraissaient comme d'énormes grains de sable qui venaient ternir mon ciel sans nuage.
Mais depuis 4 ans, je donnerais tout ce que j'ai pour revivre ne serait ce qu'une petite emmerde de ma vie d'avant. L'être humain est tellement étrange, ce besoin de tout contrôler, de vouloir à tout prix ce qu'on a pas en refusant de profiter de ce qu'on possède déjà, jusqu'à ce qu'on ne le possède plus. Ça ressemble à un cercle infernal.

Aujourd'hui, c'est mon anniversaire, nous aurions eu 31 ans. Mais ce soir comme depuis nos 4 derniers anniversaires, je finirais sûrement au bar de Troy à me bourrer la gueule jusqu'à ce que le vieil homme me foute dehors à coup de pompes dans le cul. Aujourd'hui, ressemble autant à hier et autant qu'à demain, un enchaînement inlassable de même journée.

- Hé Carter!

La voix sur la droite me sort de mes pensées et j'aperçois Joystick* trottinant pour me rejoindre entre les voitures.

- Je ne savais pas que tu animais l'atelier d'aujourd'hui.

- J'ai repris le créneau de Jim, il devait aller voir sa fille ou un truc du genre.

J'actionne le bip de verrouillage de mon pick-up et glisse la clé dans la poche arrière de mon jean. Joystick reprend avec son air enthousiaste un « Cool » paresseux. Ce mec a l'allure d'un éternel adolescent avec ses baggys et ses tee-shirts à l'effigie de ses stars préférées depuis son adolescence, 2pac et Dragon Ball Z, mélange détonant. Il vient ici chaque soir depuis plusieurs mois pour tenter de venir à bout de son addiction au gaming.

Le jour où il est arrivé dans la salle, j'ai d'abord cru qu'il était muet. Il a passé les premières séances à nous regarder tout à tour sans jamais ouvrir la bouche, juste des mouvements de têtes étranges nous indiquait qu'il suivait malgré tout la conversation. Mais lorsque Jim, le maître des lieux, s'est mis à raconter qu'il avait attendu des heures en file d'attente sur Internet pour se procurer le dernier jeu de combat que tout le pays s'arrachait ce dernier, c'est réveillé de son mutisme pour reprendre vie, depuis impossible de l'arrêter.
Il ouvre la lourde porte à battant marron et se décale pour me laisser passer en agitant son bras de manière théâtrale.

- Si monsieur veut bien se donner la peine.

Je rentre dans l'établissement en lui adressant deux doigts contre la tempe dans un salut nonchalant. Les deux mains dans les poches de mon bomber, j'avance d'un pas sûr dans le couloir, 4 ans à venir ici chaque jour, je connais la destination. Sixième porte à gauche, 1502 à taper sur le digicode accroché à la serrure, encore quelques pas vers le coin de la pièce dans le renfoncement, j'enclenche le disjoncteur, les néons grésillent et la lumière jaillît.

- Je me charge du café Cart !

Joystick s'empare du réservoir de la cafetière et disparaît dans le couloir. Les chaises de la veille n'ont pas bougé, rond parfait au milieu d'une salle austère. Les murs de cette ancienne bâtisse de l'administration américaine baignent dans leurs jus depuis au moins mon âge. Des vieilles cartes de l'État sont accrochées sur certains et donnent un style complètement vintage au lieu. Sur le tableau à épinglé entre les deux grandes fenêtres qui donne sur le square de la mairie sont accrochés des numéros d'urgence, des flyers de groupes de paroles, des pubs pour la protection sociale, tout un tas de conneries pour aider ceux qui n'ont plus la force de s'aider soit même.

STORM, Silver RideWhere stories live. Discover now