Chapitre 8 Carter, quand le coeur se remet à battre.

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Les deux femmes discutent entre elles et je ne fais aucun effort pour suivre leur conversation, j'ai le nez plongé dans mon téléphone. Je regarde frénétiquement des cons sur le net qui s'amusent à inverser des moteurs de vieilles voitures. Je tends une oreille distraite quand Ivy parle, afin d'apercevoir qui elle est. Et si j'en crois ses dires, elle habite à Moab, elle a monté sa boîte dans l'édition, elle est fille unique, elle s'est occupé de sa mère toute sa vie, inversant souvent les rôles, son père est un homme charmant, attend, elle a dit quoi ? Je hurle presque.

- Ton père t'a laissé préparer les funérailles de ta mère toute seule ?

- Oui, c'était trop dur pour lui.

- Et pas pour toi ?

Ma voix est plus tranchante que ce que j'aurais voulu. Elle déglutit difficilement en me regardant et reprend d'une voix triste en soulevant ses épaules d'un air lasse.

- Si, mais j'ai l'habitude.

Purple répond du tac au tac.

- Tu as l'habitude d'enterrer ta mère ?

La brune sourit à la remarque de la tornade violette et répond un sourire de façade aux lèvres.

- Non, non, j'ai juste l'habitude de faire ce qu'il ne veut pas faire, s'occuper une dernière fois de ma mère en fait parti, j'imagine.

- Mais c'est quel genre de père ça ? Purple fixe sa bouteille de vernis.

- Le mien.

- Attends, attends, ta mère était malade ?

- Non ! Enfin si, enfin, je veux dire, elle n'est pas décédée à cause d'une maladie, enfin pas vraiment.

Purple rigole en silence.

- Oh non, tu recommences.

Je pressens un truc chez cette fille qui me fait rentrer dans une colère sourde à l'intérieur. J'ai peur de comprendre, mais elle n'a pas besoin de beaucoup parler, que j'ai déjà saisi les grandes lignes.
La brune face à moi est comme éteinte de l'intérieur, elle offre au monde sa lumière, mais à l'intérieur. Elle est dans les ténèbres. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

Ce n'est pas la mort de sa mère qui l'a fait aller mal, c'est l'entièreté de sa vie. La mort a juste été le bouton ON pour qu'elle se prenne ses trente piges dans la tronche. J'ai l'impression de redécouvrir le cas d'un patient du Dr Murphy il y a quelques années. Certaines personnes sont polytraumatisés, il n'y a pas un pan de leur vie qui soit normal. Ils vivent un enchaînement de situations anormales qu'ils tentent de rendre normales en arrondissant les angles en permanence. Il me semble que ça porte le nom de famille pathologique ou un truc du genre. J'avais été choqué à l'époque de voir les dommages que ce patient avait gardés dans sa vie d'adulte. Si j'ai bonne mémoire, il fallait les brusquer, sinon ils s'obstinaient à rendre leur bourreau attachant, leur trouvant toujours des circonstances atténuantes pour dédramatiser leur situation.

Je vais jouer à l'accompagnant sans coeur les prochaines minutes, mais il faut que je rassemble les pièces du puzzle pour comprendre et surtout la faire parler tant qu'elle a l'air d'accepter de le faire.

- Tu as toujours vécu à Moab ?

- Non, je suis née à Vegas.

- Ta mère travaillait dans quoi ?

- Elle bossait dans la mode.

- Et ?

- Mon père a décidé qu'il préférait qu'elle reste à la maison, qu'elle n'avait pas besoin de se tuer à la tâche, il gagnait bien sa vie, alors on est venu s'installer part ici.

- Et le reste de ta famille dans tout ça ?

- Mon père ne les appréciait pas.

Elle me regarde avec crainte et mon bide se serre instantanément. Je ne veux pas qu'elle pense que je suis un connard dénué d'empathie, mais là, je me sens mal. Ma tête doit être celle d'un gars fou furieux. Son expression, la peur et la fatalité dans ses yeux, je les reconnais bien.

Elle porte le même regard que Martha, ma mère...

- Pourquoi ?

- Il s'engueulait avec tout le monde, il trouvait toujours un défaut à quelqu'un et puis il disait que ce n'étaient pas des bonnes fréquentations pour ma mère et moi. Qu'il était là pour nous et qu'il nous apportait tout ce dont on avait besoin, qu'on n'avait pas besoin des autres.

Purple me fixe, la bouche grande ouverte.

- Cart, c'est un interrogatoire ?

Je lui lance un regard de travers et reprends dans la même seconde.

- Avant de mourir, ta mère était dans quel état ?

Elle me fixe et ses larmes sont sur le point de franchir la barrière de ses yeux. Elle mord l'intérieur de sa joue et le temps semble s'arrêter. Elle est sublime, sa fragilité la rend encore plus belle qu'elle ne l'est.

Ressaisis-toi, Carter, sinon dans une minute, tu fais le tour de la table pour la prendre dans tes bras.

Elle reprend sans lâcher mon regard et j'arrête de respirer.

- Déjà morte.

STORM, Silver RideWhere stories live. Discover now