Chapitre 7 Ivy, le vernis qui craque.

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Nous avons migré tous les trois vers une petite alcôve au fond de la salle après que Troy a gentiment demandé au brun de lui dégager la piste après son esclandre avec la blonde. Les deux hommes avaient l'air de retenir des mots qui auraient causé des dégâts, je ne sais pas si c'est ma présence qui les a retenus où la lassitude de Purple, mais dans tous les cas me voilà assise en face de Carter, la tornade violette à ma droite. D'ailleurs, celle-ci s'empresse de commencer la conversation, parce que si elle compte sur son ami, c'est mort, il a l'air aimable comme une porte de prison.

Il me scrute comme s'il essayait de déchiffrer mes pensées. Les mains accrochées à son verre, il me scanne et je dois dire que la température monte d'un cran.

- Alors Ivy, dit-nous tout Newspaper Rock est la seule raison pour que tu restes dans le coin ou il y a autre chose?

Le brun se redresse sur le vieux canapé en cuir et semble être à l'écoute.

- Non, enfin, si enfin, oui. Oui, oui, je reste pour ça.

Purple rit en penchant sa tête en arrière et en faisant claquer ses mains entre elles. Je la regarde médusée et elle reprend à mon intention.

- Tu nous refais ton entrée de tout à l'heure ?

Je souris à sa remarque, même si ça pique au fond de moi. Moi-même, je ne supporte pas quand mes réponses sont dignes d'une folle furieuse ou d'une enfant de six ans.

- Je reste pour visiter le coin.

- Tu vas avec qui à Newspaper Rock ?

Carter n'a cessé de me fixer et sa voix est tranchante. Un air de colère traverse ses yeux et il attend visiblement ma réponse en se penchant légèrement au-dessus de la table.

- Je ne connais personne ici alors, j'imagine seule !

Il écarquille de grands yeux et secoue sa tête à la manière d'un gars qui se dit mentalement « pauvre fille va ».

- Ok, tu restes pour admirer les dessins, ça se tient. Les gens viennent ici pour ça, enfin quand ils viennent. Ce trou à rat ne doit être répertorié que dans le GPS de cette enfumeuse de Kate. Il n'y a qu'elle qui trouve le chemin et toi maintenant.

Je m'empresse de vouloir répondre, mais Purple ne m'en laisse pas le temps, elle sort de sa poche un vernis à ongles rose bonbon et agite le flacon avec énergie.
Je la regarde faire en buvant ma Bud réchauffée, qui, soit dit en passant, est imbuvable. Je fixe chacun de ses gestes et le brun face à moi fixe chacun des miens, soirée va être longue à ce rythme.

- Tu vas vraiment faire ça ici ?

Elle commence à peindre son pouce avec un rose Barbie atroce et je dois avoir l'air sidérée, cette fille est mon total opposé. Elle a l'air de vivre sans code social, enfin juste les siens. Elle parle et elle vit comme si rien n'avait d'importance pour elle. Moi qui suis angoissée de ce que peuvent penser les autres, la voir me fascine. Sans lâcher son travail, elle reprend tout naturellement.

- Il y a une loi américaine qui interdit de mettre du vernis à ongle dans un bar ? Si c'est le cas, je veux voir ce texte !

Je ris à sa remarque et mon regard vient croiser celui de Carter.

- Elle est toujours comme ça ?

Il me sourit et laisse apparaître ses deux fossettes.

Il y a une loi qui devrait interdire un sourire pareil, ça c'est sûr !

- Folle et je-m'en-foutiste ?

Je lui fais un signe de tête entendu et il reprend.

- La réponse est oui. Par contre, si le vernis à ongles est déjà une étape déstabilisante pour toi, je crains que tu ne survives aux prochains jours.

- Ok, je vais tenter de m'y préparer psychologiquement alors !

Il rit à ma remarque et le son qui sort de sa gorge fait accélérer les battements de mon cœur. Il reprend d'une voix entendue.

- Mais le groupe de parole est là pour ça.

- À plusieurs, on est plus fort pour survivre aux attaques de Purple !

- C'est tout à fait ça !

Purple le nez sur ses doigts, la langue pincée entre ses dents, semble au sommet de la concentration.

- Je ne vous vois pas, mais je vous entends trouver un autre sujet de conversation que ma personne !

Il me sourit de son sourire charmeur et parait s'en rendre compte. Il efface son amusement pour se refermer dans un sérieux qui contraste avec ses dernières secondes.

- Dis-moi, Ivy, tu as vécu quoi qui t'amène ici ?

Je déglutis difficilement et l'air devient irrespirable tout à coup face à la question lourde de sens de l'homme face à moi.

- J'ai perdu ma mère.

Il pince ses lèvres et acquiesce discrètement.

- Ça fait longtemps ?

Aller, Ivy répond ! C'est pas compliqué, tu es là pour ça de toute façon.

- 5 semaines pour de vrai.

La chevelure violette lève la tête vers moi et fronce le bout de son nez comme pas sûr d'avoir bien entendu.

- Pourquoi, on peut mourir pour de faux ?

Je fixe mes mains qui se cramponnent à ma bouteille de bière et ravale un sanglot silencieux, un de ceux qui se loge au fond de la gorge et qui vous empêche de respirer. Tout est dur quand je place le mot « mère »dans une phrase.

- Je l'avais perdu bien avant, mais elle est vraiment partie, dans un cercueil, je veux dire, il y a cinq semaines.

La main décorée de rose bonbon à chier vient serrer mon avant-bras dans un geste rassurant et la propriétaire vient embrasser ma joue. Ce geste me déconcerte totalement, cette fille est insaisissable.

- T'as l'air nul en expression et en maçonnerie, mais t'es tombé au bon endroit pour apprendre !

Cours particuliers d'expression orale et travaux pratiques, je ne sais pas où je suis tombé, mais de toute façon, ça n'a pas grande importance au point où j'en suis.

STORM, Silver RideWhere stories live. Discover now