La journée de cours fut pesante. Mélodie sentait s'amonceler au-dessus d'elle un nuage de brimades et d'insultes mais il n'éclatait pas. La présence de Noëlie semblait avoir créé autour d'elle une bulle protectrice. Bianca et Cynthia rongeaient leur frein ; il planait dans les salles de cours une atmosphère de sourde hostilité contre elle mais sans que jamais l'hallali ne fût prononcé. Elle se faisait l'effet d'être un biche blessée auprès de laquelle montait la garde une panthère et sur laquelle se précipiteraient une horde de chiens faméliques une fois que l'attention du félin aurait été détournée. Se rapprocher de Noëlie n'était pas sans conséquence : Mélodie courait le risque de se faire dévorer par une fille qui semblait vouloir lui arracher des morceaux de chair à coups de dents étincelantes de santé. Mais renoncer à Noëlie signifiait également qu'elle serait désignée à la vindicte publique. Et ce serait probablement encore pire... Que faire ?
Après les cours, elles se promenèrent sur la plage main dans la main avant de pousser jusqu'à Brooklyn Heights où elles prirent le temps de flâner le long de l'East River.
— C'est si beau, dit Noëlie. Pour moi, c'était un rêve de venir ici. Et c'est encore plus beau depuis que t'es avec moi.
Elles s'engagèrent dans les ruelles entre les célèbres brownstones. Puis elles empruntèrent Joralemon Street. Noëlie s'extasia sur les maisons de briques colorées. Elles aboutirent au bord de la rivière entre les ponts de Brooklyn et de Manhattan. Mélodie revit le manège où elle avait surpris Cynthia en train d'attendre son amie. Après avoir marché sur les galets de Pibble Beach, elles se rendirent dans l'Empire Stores.
— Je ne vais pas te le cacher, j'y suis déjà allée, dit Noëlie avec un sourire jusqu'aux oreilles. Tu connais le Times Out Market ?
— Oui.
C'était là où Mélodie avait suivi Cynthia.
— Y a un truc, c'est obligé que je te le montre.
Elles pénétrèrent dans un café et se dirigèrent vers le comptoir où, avec des gestes rapides et précis, s'activait un barista. Près de lui se trouvait un percolateur dont les chromes reflétaient l'ambiance tamisée de la salle. Il s'empara d'une buse à vapeur qu'il plaça délicatement sous le lait pour donner naissance à une micromousse qui fit saliver Mélodie. Noëlie attendit qu'il eût terminé pour passer sa commande. En s'arrangeant pour que Mélodie n'en comprît pas un traître mot. Elle régla avec son smartphone sans se départir d'un magnifique sourire auquel le professionnel, de toute évidence, n'était pas insensible.
Quand elles se furent installées, Noëlie lui expliqua :
— On va boire des latte. Dans ce café officie l'un des meilleurs baristas du monde. Il est capable de dessiner absolument n'importe quoi à la surface des latte.
Ce fut le barista en personne qui les servit. Les latte portaient le même motif : deux chaînons circulaires prolongés en-dessous par des croix.
— J'ai besoin d'un peu de temps, dit Mélodie après avoir bu une gorgée pour se donner du courage.
Le visage de Noëlie resta imperturbable. Elle but elle-même une gorgée avant de lâcher :
— T'as besoin de quoi ?
— De temps, dit Mélodie d'une toute petite voix.
Noëlie éclata de rire.
— Je vais te raconter une histoire, dit-elle après avoir mis les coudes sur la table et avoir rapproché son visage à quelques centimètres de celui de notre héroïne.
Elle s'exprimait à voix très basse mais avec une détermination et une limpidité qui fit froid dans le dos à Mélodie.
« Quand je vivais à Perriers, j'avais deux potes.
— Deux secondes, l'interrompit Mélodie. J'ai une cousine qui habite Souillanges, en Normandie. C'est un peu le trou du c... du monde. À proximité se trouve un petite commune qui s'appelle Perriers. Ne me dis pas qu'il s'agit de la même ville ?
— Mais si ! Il faut croire que le monde est petit... J'ai vécu quelques années en France. Tu sais, j'ai pas mal bourlingué. Je te l'avais pas dit ?
— Non. Alors t'as peut-être croisé ma cousine qui étudie au lycée de Perriers ? Elle s'appelle Jennifer Chapiteau !
— Tu parles de la meuf de trois mètres de haut avec des solaires et des coups de tatane dans la gueule des mecs qui l'approchent de trop près ?
— Ha ha, c'est exactement ça !
L'atmosphère se détendit. Elles parlèrent quelques minutes de Jennifer. Mais Noëlie ne semblait guère avoir envie de s'attarder sur les quelques années qu'elle avait passées en France et elle ne tarda pas à reprendre son récit :
— Donc, figure-toi que mes deux potes s'aimaient très fort. Une meuf un peu comme toi, très bien roulée mais avec des principes. Un type un peu pleutre mais plutôt beau mec avec une grande sensibilité et beaucoup de largesse d'esprit. Tu sais, l'amour, c'est rare. Et quand il passe à proximité, t'as intérêt à te montrer prompt oiseleur. Tu veux que je te dise ? L'un et l'autre, ils n'attendaient que ça. Lui, se noyer dans cette fille en laquelle, si j'en crois les confidences auxquelles il s'était laissé aller, il voyait l'incarnation de la perfection. Elle, se faire défoncer le c... jusqu'à défaillir de jouissance et perdre totalement la tête. Mais elle lui a dit qu'elle avait besoin de temps. Imagine l'effet que ça fait quand on entend ça. Ce truc, selon moi, ça signifie pas autre chose que : Je t'aime pas mais j'ose pas te le dire et j'essaie de gagner du temps en espérant que les choses vont se tasser. J'imagine que c'est un truc comme ça que t'as en tête, non ?
Mélodie avait l'impression d'avoir pris plusieurs coups de poing en pleine figure et peina à rassembler ses idées :
— Je sais pas. C'est juste que j'ai l'impression de sauter dans le vide.
— J'en ai marre de ces palabres. Ragnagna, ragnagna. Tu veux que je te dise ? Une fois qu'on sera sorties de ce café, tu me suis jusque chez moi, tu te déshabilles entièrement, tu te laisses faire et après on en discute. Tu risques rien, je vais pas t'engrosser. Je vais simplement m'occuper de toi, il n'a que trop tardé que tu franchisses le pas.
— O.K. dit Mélodie dont le cœur s'était mis à battre à toute allure.
Incapable de résister à la volonté de fer de son amie, elle se sentait atrocement mal. Dans l'absolu, elle n'était pas hostile à quelque chose avec une fille mais elle aurait souhaité que leur histoire se nouât de façon plus douce. Elle aspirait à de l'affection, à de tendres caresses, pas à des parties de jambes en l'air.
— Super, alors allons-y, dit Noëlie. Tu le regretteras pas...

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Comment devenir une star
Short StoryIl s'appelle Léon, il est romantique et les filles des boîtes de nuit ne veulent pas de lui. Il ne rêve que bague au doigt et relation de longue durée alors qu'elles veulent s'amuser. Elle s'appelle Mélodie, c'est une fille très (trop) sérieuse et i...