32. Spécialiste française de Sylvia Plath

8 5 22
                                    

Clarisse Melville vivait mal que sa fille eût renoncé à devenir championne de natation. Elle s'était sentie trahie quand Mélo lui avait signifié qu'elle abandonnait la compétition. « Des études médiocres, une petite vie médiocre avec un conjoint médiocre, c'est tout ce qui t'attend, lui avait-elle assuré sèchement. La vie ne sourit qu'à ceux qui se donnent les moyens de briller. Tu es une étoile, ma fille, je dirai même un météore. L'idée me fait horreur que tu aies pris de toi-même la décision déplorable d'exploser en pleine ascension pour te transformer en vulgaire morceau de charbon. »

Mélo n'avait su que répondre. Pour éviter de prêter le flanc, elle avait passé beaucoup de temps avec son piano et sa guitare, avait fait l'effort de se rendre tous les mois à des concerts de musique classique et passait l'essentiel de son temps libre à composer des chansons. Constatant que sa fille ne restait pas les bras ballants et semblait avoir des prédispositions pour faire carrière dans la musique en tant qu'instrumentiste ou compositrice, Clarisse avait fini par cesser de lui faire des réflexions.

Il n'empêche : le revirement de Mélo lui était resté sur l'estomac. Il ne lui échappait pas, en effet, que le piano ou la guitare ne nourrissent pas leur homme. De même que l'écriture ou la peinture, la musique est souvent un hobby ; très peu de personnes parviennent à en vivre.

C'est la raison pour laquelle elle ne s'était pas fâchée quand elle avait intercepté la confirmation de candidature. Intégrer Summer représentait une opportunité incroyable. Les défauts de Mélodie lui étaient connus : un peu nonchalante, un peu oie blanche, trop émotive, et puis quelle cruche avec ses perpétuelles démonstrations d'affection... C'était une proie facile pour les garçons toxiques. Mais elle avait des qualités maîtresses comme une extrême droiture et une grande endurance. Sa mère devinait en elle une flamme qui ne demandait qu'à jaillir et à tout brûler sur son passage, une capacité à s'acharner et sauter encore et encore par-dessus les obstacles quand le but poursuivi en valait la peine. Elle se rappelait à quel point Mélo s'était démenée pour intégrer la section S2TMD.

Il lui était également revenu aux oreilles qu'elle nourrissait un attachement obsessionnel pour un certain Léon. Elle était consciente de la souffrance qui en résultait pour sa fille. Mais en même temps, cela lui faisait plaisir. Elle-même monomaniaque, elle avait la plus grande considération pour les personnalités obsessionnelles et détestait les individus qui s'autorisaient à voleter de fleur en fleur, de distraction en distraction sans jamais prendre la peine de se poser. Non, sa fille n'était pas comme ça. C'était une soldate qui restait debout même avec des peines de cœur.

Il n'en restait pas moins que notre héroïne n'avait aucune chance d'aller là-bas sans un petit coup de pouce du destin. Candidater à Summer quand on habitait Poitiers et qu'on n'avait rien de remarquable dans son curriculum, c'était comme prétendre gagner le gros lot en ne jouant qu'une seule fois dans sa vie.

Or, Clarisse connaissait un prof de l'Université Columbia. En instance de divorce, Clarence Morales était un quadragénaire sémillant qui parlait le français à la perfection. Adepte des cravates et des gilets, il accordait un soin extrême à sa vêture. Son habileté syntaxique n'avait d'égale que son aisance à décocher de légers traits d'humour qui, à chaque fois, déclenchaient l'hilarité. C'était le seul homme qui pût se vanter d'avoir fait rire Clarisse Melville.

Elle l'avait rencontré lors d'un colloque à New York auquel elle avait été invitée en tant que spécialiste française de Sylvia Plath, avait succombé à sa faconde et à son élégance et avait fait une entorse au serment qu'elle s'était fait de ne plus jamais coucher avec un homme. Pour tout dire, elle en était même tombée amoureuse et s'était effrayée du pouvoir qu'il avait immédiatement acquis sur elle. Jamais elle n'avait éprouvé un tel plaisir, c'était totalement inattendu. Était-il donc possible que l'existence ne fût pas un calvaire permanent ?

Tourneboulée, elle avait préféré regagner la France plus tôt que prévu. Au grand désarroi de Clarence qui, depuis, n'avait cessé, tout en ne se départissant jamais de la plus grande courtoisie, de lui écrire. Il voulait se marier avec elle. Il l'invitait à emménager avec lui à New York. À moins qu'elle ne préférât qu'il s'installât en France, peu lui importait.

Clarence avait fini par lui répondre mais ce fut pour lui parler de la candidature de sa fille à Summer. Doué d'une rare éloquence, Clarence n'eut aucun mal à persuader son ami Cristian Martinez de défendre le dossier de Mélodie Mariance : peu soucieux d'exactitude et empressé d'obtenir gain de cause (il espérait ainsi s'attirer les faveurs de Clarisse et, peut-être, la décider à se marier avec lui !), il expliqua qu'elle avait tous les talents (parfaitement bilingue, musicienne hors pair, une voix incroyable, pianiste virtuose, etc.).

Or, Martinez souhaitait que Summer s'ouvrît davantage aux élèves de condition modeste : l'idée de faire rentrer une boursière de plus dans son école, de surcroît une jeune fille qui vivait dans un coin reculé de l'hexagone, ne lui déplaisait pas. Tout cela, bien sûr, Mélodie était loin de s'en douter et ne découvrirait que bien plus tard...


Comment devenir une starWhere stories live. Discover now