A des milliers de kilomètres, Emma n'en menait pas large non plus. Julie avait eu du mal à croire que leur relation à Johanne et elle n'était pas allée au-delà de leurs personnages. Elle était également restée dubitative à l'idée d'une simple amitié entre les deux femmes. Elle avait même parue particulièrement déçue. Une déception qui allait au-delà du fait de ne pas voir les deux femmes vivre pleinement leur amour. Emma l'avait ressenti et à force de l'interroger à son tour, Julie avait fini par lui avouer qu'elle se trouvait dans une situation un peu similaire, à ceci près qu'elle était à la place de Jo...
En effet, elle était attirée par une femme déjà en couple. Cette dernière ne semblait ni heureuse ni épanouie dans cette relation a priori sur le déclin et fragile, mais la jeune femme n'avait pas souhaité lui faire part de ce qu'elle ressentait. Toutefois, elles s'étaient rapprochées durant les deux derniers mois, au point qu'il était évident pour Julie que ses sentiments étaient partagés. Seulement voilà : elle ne voulait pas prendre le risque de gâcher une si belle relation, même si elle n'était qu'amicale, ni mettre cette autre femme dans l'embarras vis-à-vis de son couple. Emma lui avait alors conseillé de dire les choses : même si c'était aujourd'hui douloureux, elle préférait de loin savoir ce que Jo ressentait pour elle et éviter ainsi bien des quiproquo ou des situation embarrassantes. Et puis ne faut-il pas toujours dire la vérité ? Julie avait promis d'y réfléchir avant de partir et de laisser Emma seule avec Radamès, qui la boudait outrageusement après ces longs mois d'absence.
Elle avait alors essayé d'appeler Jo, comme promis, mais elle n'avait pas décroché. Peut-être avait-elle changé d'avis et préférait-elle couper les ponts ? Peut-être qu'une fois de retour chez elle, elle s'était aperçu que les sentiments qu'elle pensait avoir ressentis avaient simplement été décuplés par le tournage et qu'ils étaient moins forts qu'ils n'y paraissaient ? Peut-être même inexistants ? Peut-être encore avait-elle honte de ces sentiments une fois de retour à Londres, face aux répercutions que cela pouvait avoir ? Ou alors préférait-elle l'oublier dans les bras d'une autre femme qui pourrait enfin lui offrir ce qu'elle désirait... ce qu'elle méritait.
Tant de questions et de tourments qui avaient hanté l'esprit et les rêves d'Emma toute la nuit. Seule dans sa cuisine, elle regardait à présent désespérément son téléphone depuis son réveil, dans l'espoir qu'il vibre au nom de Johanne. Mais il était presque 10h, et toujours rien. Radamès la fixait depuis le canapé, comme s'il se demandait si c'était bien son humaine qu'on lui avait rendue ou bien une clone robotisée amorphe et incompétente : il avait miaulé et mordillé toute la matinée, sans aucun résultat pour son petit-déjeuner... Il perdit patience et atterrit en deux bons à côté de sa gamelle, qu'il poussa du bout de la patte. Doucement, d'abord, par à-coups, puis plus franchement face au manque de réactivité d'Emma. Jusqu'à ce qu'elle tombe dans un bruit métallique sur le carrelage, tirant enfin son humaine de ses rêveries. Elle grommela quelque chose dont il n'avait que faire – il n'avait jamais compris ce langage sous-développé propre à cette race de bipèdes – et avait daigné lui servir sa pâtée. Ce n'était pas trop tôt ! Il allait vraiment devoir reprendre son éducation, il y avait trop de laisser aller...
Emma se rassit sur son tabouret, reprenant la contemplation de son téléphone. Tout lui semblait si irréel ce matin... Seule dans cet appartement, après ces mois de tournage, d'effervescence, de suractivité, ce temps passé sur Londres en préparation... Elle avait l'impression d'atterrir dans une histoire qui n'était pas la sienne. Qui n'était plus la sienne. Elle n'avait même pas pris le temps de s'interroger davantage sur les nouveaux amours de Julie tant les siennes occupaient toutes ses pensées. Son amie étant partie, elle pouvait enfin laisser tomber tous ses masques et ne plus faire semblant de trouver le moindre intérêt à quoi que ce soit...
Son téléphone vibra, lui redonnant un sursaut de vie. Un instant, le monde retrouva ses couleurs. Juste le temps d'espérer que le nom de Johanne était celui qui apparaîtrait sur son écran. Un instant bien court, car dès que ses yeux se posèrent sur l'appareil, ce fut le nom de Sophia qui lui sauta au visage. Et ce n'était pas un appel, mais un message lui indiquant qu'elle ne rentrerait probablement pas avant le surlendemain : la mezzo-soprano qu'elle remplaçait n'étant pas bien du tout aujourd'hui, l'opéra avait préféré jouer la sécurité en lui demandant d'assurer également la deuxième représentation. Emma reposa son téléphone comme si elle venait d'y lire un spam. Elle n'avait même plus la force de faire semblant pour elle-même : les mots de sa femme ne lui faisaient ni chaud, ni froid.
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DilEmma
RomanceQuand la fidélité envers l'autre se heurte à la fidélité envers soi-même... Emma, jeune écrivain, voit son dernier roman se faire adapter au cinéma. Au moment du casting pour trouver les comédiennes incarnant ses héroïnes, elle dépanne l'équipe et s...