4. Celle qui était en rébellion

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_ Mademoiselle Aurore ? Appela une voix douce. Mademoiselle Aurore ? Il est midi passé, il est grand temps de vous réveiller.

La jeune fille aux cheveux blonds grogna, se tourna pour se retrouver dos à l'intrus avant de faire un geste désinvolte de la main pour la chasser. Sans succès. L'employée de maison demeurait dans la chambre, sûrement à cause des ordres stricts donnés par sa mère. Elle ouvrit en grand les rideaux de la fenêtre, laissant un soleil radieux inonder le lit. Aurore grommela de plus belle, jurant et enfouissant sa tête sous une montagne de couette.

_ Laisse-moi Flora ! Je suis encore en vacances alors dis à maman qu'elle aille se faire...

_ Mademoiselle ! Coupa soudainement Flora, choquée. Ne dites pas des choses pareilles et levez-vous. Votre mère a organisé un déjeuner avec les Bartlett.

Aurore laissa échapper un ricanement en roulant sur le côté. Elle posa alors ses yeux encore endormis sur le visage rond et sillonné de rides, surplombé d'une frange grise, de la vieille femme. L'adolescente sourit en se redressant légèrement contre le sommier en bois de son lit. 

_ Je présume que Philip sera là également ? Maman a encore dans l'idée de me caser avec lui. J'ai l'impression d'être une fille d'aristo au XXème siècle qu'on essaye de marier avec un riche entrepreneur américain. C'est ridicule.

Flora haussa les épaules avant de trottiner jusqu'a la pièce attenante qui renfermait tous les vêtements qu'Aurore s'était vue offrir. Un paradis pour toutes les jeunes françaises, un véritable enfer pour sa propriétaire. Non pas qu'elle n'aimait pas les vêtements, mais ceux-là étaient comme une parure de menottes offertes par ses parents. 

La l'employée de maison saisit une robe fourreau bleu pâle, assortie à un chandail beige et déposa des sandales qui se mariaient parfaitement avec le tout. Une tenue de sainte-nitouche pour une autre des représentations qu'Aurore allait devoir fournir. 

_ Non j'veux pas, contra l'adolescente avec un sourire mesquin, apporte moi plutôt mon perfecto noir et mon jean avec du lézard. 

Flora se figea instantanément, pivota sur ses talons pour faire face à Aurore, qui peinait à retenir son gloussement. 

_ Ca va ! Je déconne, je vais la mettre ta robe de coincée. 

_ Vous ne devriez pas me faire des frayeurs pareilles, mademoiselle, la rabroua Flora avant de sortir de la chambre. 

Aurore repoussa les couvertures, dévoilant ses jambes couvertes d'une nuisette noire. Elle fit quelque pas dans sa prison. Plus petite pièce de l'appartement, elle l'avait choisie pour le balcon qui lui permettait de fumer le soir, ainsi que pour la salle de bain attenante et l'accès rapide à la sortie de service dans le couloir : un véritable petit appartement dans l'immense duplex habités par sa famille. 

En dépit de ses réticences pour aller déjeuner avec cette famille Anglaise presque aussi maniérée que la sienne, Aurore revêtit sa tenue de circonstance. Elle prit ensuite place devant sa coiffeuse et ramena ses cheveux en chignons sur le haut de son crâne. L'adolescente ne prit même pas la peine de se maquiller, elle ne voulait pas faire croire à cet idiot de Philip qu'elle avait voulu se faire belle pour lui.

Une fois prête, Aurore descendit les escaliers en pierre qui menaient aux pièces à vivre de l'endroit. Après avoir dépassé la rotonde qui faisait office d'entrée, la jeune fille alla se réfugié dans la cuisine en attendant l'arrivée de leurs chers invités. Là, elle trouva Flora et une cuisinière au tablier bleu en pleine discussion. Aurore bondit sur un tabouret haut et vola une pomme de terre sautée de la préparation du repas. 

_ Mademoiselle ! La rabroua derechef la vieille employée. Pimprenelle s'est donné du mal pour faire cela alors ne venez pas tout ruiner. Et puis arrêtez de manger, vous n'aurez plus faim pour le déjeuner sinon. 

L'adolescente tira la langue avant de filer dans le couloir. Alors qu'elle allait atteindre le petit salon, Aurore buta contre d'imposantes perles. Vêtue d'un tailleur beige, d'un bracelet Hermès et ses cheveux d'or parfaitement coiffés, sa mère semblait plus belle et plus jeune encore que la veille. Une cure de jouvence dont elle seule avait le secret. La maîtresse de maison esquissa un sourire pincé en voyant la dégaine de sa fille, puis replaça une de ses mèches blondes rebelle derrière son oreille.

_ Aurore, les Bartlett ne vont pas tarder à arriver. Viens donc les accueillir avec moi.  

_ Maman, lança brusquement l'adolescente en se redressant, tu sais que c'est illégal de vendre une fille mineure ?

_ S'il te plait chérie, pourras-tu éviter de faire cet humour... Que toi seule comprends ? Merci beaucoup...

Sa mère lui prit la main à l'instant même où la double porte en bois s'ouvrait sur trois silhouettes aussi droites que des manches à balais et tirés à quatre épingles. Au milieu, Philip, fidèle à lui-même : les mêmes lunettes rondes, les mêmes cheveux coupés très courts, le même corps aussi frêle qu'une brindille, et le même aspect crispé. Aurore soupira avant d'afficher un sourire feint. Les parents de son futur époux, si cela ne tenait qu'à sa mère, ressemblaient comme deux gouttes d'eau a leur progéniture. La maîtresse de maison invita les Bartlett au salon tandis que le majordome servait une coupe de champagne à chacun d'eux. 

Comme les parents discutaient entreprise et fusion, Philip se rapprocha d'elle avec son sourire timide qui horripilait la jeune fille. 

_ Comment vas-tu Aurore ? Demanda-t-il d'une petite voix nasillarde. Cela fait un moment que je ne t'ai pas vue. Tu as passé de bonnes vacances ?

_ Super ! Rétorqua-t-elle vivement, je pourrais pas te les raconter malheureusement, je ne m'en souviens pas. J'étais probablement trop défoncée, mais t'inquiète, j'en ai bien profité. 

Elle leva sa coupe devant le visage livide du garçon et la vida d'un trait. 

_ Ah, plus de carburant, je ferais bien d'aller en chercher. 

Elle tourna les talons et sortit du grand salon en longueur pour trouver refuge dans la rotonde. Malheureusement, la rebelle fut rapidement rattrapée par sa mère, l'air courroucé. 

_ Qu'est-ce que tu fais ? Siffla-t-elle entre ses dents. Les Bartlett sont des inventeurs importants pour la compagnie de ton père. C'est vraiment important, s'il te plait, si tu ne le fais pas pour moi, fais le au moins pour lui. 

Aurore leva des yeux furieux vers elle. Même si elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour embarrasser sa mère, faire de son père un dommage collatéral était impensable. Elle finit par opiner tristement du chef. 

En passant à table, Aurore fit la conversation à Philip, comme une jeune fille de bonne famille l'aurait fait. Elle sourit, rit à ses plaisanteries, s'intéressa à sa passion ridicule pour la voile et laissa le moment se passer sans autre heurts. Elle le devait bien à son père. 

Une fois les Bartlett partit et sa mère occupée avec Pimprenelle, Aurore remonta prestement dans sa chambre. Elle se mit à fouiller sans aucune délicatesse dans son tiroir à chaussette, jetant la moitié par terre, les yeux embués de larmes et sortit un sachet d'herbe. L'adolescente roula rapidement un joint, sortit sur le balcon et roula son pouce tremblant sur le briquet rouge entre ses mains. Une fois allumé, elle tira de grosse bouffée en regardant la famille de l'horreur entrer dans leur BMW bleue. Voilà donc à quoi elle en était réduite : épouser un abrutit d'Anglais et finir comme sa mère à passer ses journées à s'emmerder. 

Les Princesses pas si charmantes...Where stories live. Discover now