Chapitre 3

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L'autoroute du désert... Elle est tout sauf déserte ! La nuit va bientôt tomber et je dois cligner des yeux pour chasser la fatigue de l'éblouissement des phares, réglés selon le code de la route égyptien soit n'importe comment. Près de 100 kilomètres que je roule et la circulation reste toujours aussi dense dans les deux sens. Celui des cairotes qui vont passer le week-end à la plage, et celui des bus qui ramènent les touristes vers la capitale. En Égypte, les touristes se concentrent dans la vallée du Nil, entre Abou Simbel, Louxor, Le Caire et Alexandrie, pour visiter les pyramides, temples, tombes et vestiges de nos pharaons disparus. D'autres préfèrent les plongées dans la mer Rouge ou encore les marches mystiques dans le mont Sinaï. Mais 94% du territoire est occupé par les déserts, le libyque à l'ouest et l'arabique à l'est. Et ils recèlent bien des trésors méconnus. Oh non, ne me dites pas que ça recommence à bouchonner ! Cette fois j'en ai ma claque de slalomer entre les pots d'échappement nauséabonds et les détritus que lancent les conducteurs sur la route. Je vais passer par les petits chemins du Wadi el Natroun et longer l'autoroute pour la reprendre plus haut. Même si les routes sont moins bonnes au moins j'aurai l'impression d'avancer !

Après quelques manœuvres contestables avec le scooter, je rejoins une petite route étroite qui remonte au nord-ouest sur les hauteurs rocheuses qui sillonnent les dunes comme les crêtes de dinosaures enfouis. Ici très peu de véhicules circulent et en soupirant d'aise, je prends un peu de vitesse. Mais pas trop, car qui sait si des chèvres ne vont pas brutalement décider de traverser la route. Ou si le revêtement goudronné vieux comme Hérode ne cache pas un nid de poule sournois. Ou si un effondrement rocheux au détour d'un virage n'a pas obstrué la route. Ou si un chien de berger ne va pas surgir sans prévenir pour me courser... ce sont les joies des routes peu fréquentées ! Je souris d'apercevoir au loin les phares des véhicules immobilisés sur l'autoroute et pousse un peu les gaz pour les narguer quand soudain, le moteur de mon scooter se met à avoir des ratés. Oh non, John, j'espère que ton bricolage ne va pas me lâcher maintenant ! Je manque de passer par-dessus mon guidon. Je me rétablis comme je peux, quand un bruit de klaxon assourdissant me fait me rabattre brusquement sur le côté de la route. J'évite tout juste de me faire encastrer par une camionnette chargée de pastèques qui arrivait en face, les phares cassés, et qui m'agonise de coups de klaxon outrés. La suite se déroule au ralenti, comme dans une scène de film d'horreur. Je me sens emportée sur le bas-côté de la route tandis que le moteur tousse, envoie une dernière pétarade avant de rendre l'âme, et de couper l'alimentation du phare. Je pose les pieds au sol et freine de toutes mes forces, pour empêcher le poids du deux-roues de m'entraîner dans le précipice que je devine en contrebas. Mais c'est peine perdue car les roues du scooter dérapent et nous entraînent inexorablement vers le bas. Alors, dans un réflexe de sauvegarde, je saute sur le côté, abandonnant le véhicule à sa chute, et je dégringole, je tourneboule sur moi-même avant de me sentir happée par les ténèbres de l'inconscience..

Le froid me réveille et je grogne en cherchant à remonter la couverture sur moi, mais je ne ressens qu'une matière dure et désagréable autour de moi. Mais où suis-je ? Je me redresse en sursaut tandis que les images de ma panne-accident de scooter me reviennent en vrac. À part une douleur au genou mon corps semble intact et mon sac à dos a amorti la chute. À tâtons, je retire mon sac-à-dos puis mon casque et observe l'endroit où j'ai atterri. Ce repli rocheux envahi de broussailles épineuses a stoppé ma chute. Au-dessus de moi, un pinceau de lune dessine des ombres fantomatiques sur la paroi rocheuse qui culmine à une quinzaine de mètres. Aucune envie de ressortir par là. Côté aval, la pente semble beaucoup moins raide. Si je dois bouger, ce sera en descendant. Et je crois qu'il sera inutile de vouloir faire réparer le truc complètement disloqué que j'aperçois loin en contrebas, et qui me servait de scooter.

En attendant, je suis vivante et je dois prévenir l'équipe de fouilles que j'ai eu... un léger contretemps, et que je les rejoindrai... mince, je n'ai aucune idée de l'heure qu'il peut être à part qu'il fait nuit, bref que je les rejoindrai dès que possible. J'ouvre mon sac à dos pour en sortir mon téléphone portable. Mais si le sac a servi d'amortisseur dans ma chute, son contenu lui aussi est très amorti. La bouteille d'eau en plastique a explosé, les « baisers sucrés » ne sont plus qu'une bouillie gluante de miettes et d'aluminium, parmi laquelle je distingue des débris de verre, de plastique et d'électronique. Je récupère la carte Sim, l'essuie avec mon T-shirt et la glisse dans la poche de mon Jeans. Bon, je vais devoir me débrouiller sans téléphone. Bienvenue dans la préhistoire ! Je continue le tri dans mon sac à dos. Ah ! Ma mini-torche fonctionne, cool ! Par contre mes vêtements de rechange ne vont pas pouvoir servir à grand-chose. Mon carnet de notes lui aussi est gras et gluant, mais prise d'une inspiration j'exhume un stylo à bille et je rédige, non pas mon testament mais un mémento sur qui je suis et qui il faut prévenir si jamais on ne me retrouve pas vivante. Si en fait, c'est une sorte de testament, zut, je ne suis pas quelqu'un de morbide d'habitude ! Allez, je vais m'en sortir. Je décide de laisser sur place le sac à dos et le casque avec le carnet de notes bien en évidence. Je vais partir à la recherche d'un moyen de regagner la route où je ferais du stop vers Alexandrie, dut-ce être sur une charrette tirée par un âne.

A la lumière froide de la lune, je sillonne le flanc rocheux en boitillant à pas prudents, évitant les broussailles et les pierres qui roulent sous mes chaussures. Je vais économiser les piles de ma mini-torche au maximum. Je me trouve désormais au cœur d'une sorte de canyon, un ancien oued desséché, et j'espère de toutes mes forces qu'il débouchera quelque part. Je tends l'oreille, il me semble entendre un écho lointain, comme un chuchotis. Si des êtres humains sont dans les parages, ils pourront sûrement me montrer un chemin pour regagner la route principale et, motivée par cet espoir, je presse le pas. Mais plus je m'approche de la source du chuchotis, plus mon espoir qu'il soit d'origine humaine s'amenuise. Cela ressemble au frêle glouglou d'un ruisseau, d'autant que la végétation désertique avide de la moindre goutte d'eau se densifie. Au moins, je pourrai me rafraîchir. J'écarte les branches d'un acacia et suspends brusquement tout mouvement. J'ai cru apercevoir une forme blanche à travers le feuillage. Le cœur battant à tout rompre, je plisse les yeux pour observer cette forme sans me faire repérer.

Est-ce une galabieh , la longue tunique traditionnelle sans col ni ceinture des égyptiens, et dans ce cas que fait une personne seule en pleine nuit dans cet endroit sauvage ? Non, la forme est plus allongée, elle se tient immobile, aux aguets, elle a senti ma présence. Soudain la forme frémit, et d'un bond nerveux s'élance à travers les fourrés dans une cavalcade apeurée. Le claquement de ses sabots sur le sol caillouteux s'éloigne, avant de stopper à nouveaux. C'est un cheval blanc ! Malgré la peur bleue que j'ai eue, et la précarité de ma situation dans ce canyon perdu, la grâce de la rencontre avec ce cheval me gonfle le cœur. Je n'ai plus qu'une idée en tête : le retrouver !

Chevaux de légende Tome 2 :Amira, Princesse d' ÉgypteOnde histórias criam vida. Descubra agora