Chapitre 6

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Je me sens comme Howard Carter. Nous sommes le 26 novembre 1922 et j'ai envie de hurler mon désespoir. Après des fouilles titanesques et infructueuses dans la vallée des Rois, la dernière saison des fouilles programmées s'arrête aujourd'hui faute de crédits. Quand soudain, un fellah hurle comme s'il était possédé par le Salawa , le redoutable démon à tête de chacal. Sa pioche de paysan vient de heurter un bloc de pierre. Il s'agenouille, dégage de ses mains le sable sur le bloc lisse, dégage un deuxième bloc en contrebas... Ce sont les marches qui mènent à la demeure d'éternité inviolée de Toutânkhamon, avec son sarcophage d'or et ses prodigieux trésors intacts !

Euh... je doute qu'on exposera au musée du Caire, au Metropolitan Museum of Art de New York, au British Museum à Londres ou au Louvre à Paris, le résultat de mes « prodigieuses » découvertes. Il doit s'agir d'un ancien abri de paysan ou de berger, vu l'ameublement spartiate de cette minuscule caverne. Un matelas de roseaux tressés qui part en poussière, un tabouret de bois qui tombe en miettes quand j'appuie dessus, une cruche en terre cuite qui se brise quand je la bouscule malencontreusement du pied. Je me sens tellement bête ! Je pousse un soupir de déception gros comme la pyramide de Khéops en poussant du pied les débris du tabouret et de la cruche contre la paroi rocheuse. Je souris à la pensée que si un jour une nouvelle Indiana Leyla Jones découvrait cette caverne, qu'elle évite au moins de trébucher sur ces débris !

J'ai hâte de quitter cette caverne maintenant. Quand je raconterai ma mésaventure à mes camarades d'université et même à John tiens, on rira bien en buvant du thé bien noir et bien sucré. Ce n'est pas encore aujourd'hui que je commencerai à forger ma glorieuse légende, dont j'espère qu'elle dépassera même celle d'Alexandre le Grand ! Je soupire et m'apprête à ressortir par les marches de l'escalier, quand mon cœur fait une embardée. Un serpent menaçant surgit du fond des ténèbres, sa tête affamée dressée sur un corps immense. Je hurle de terreur et recule tout au fond de la caverne, je suis prise au piège !

Le cœur battant à tout rompre, je guette le frottement des écailles du serpent sur les marches de pierre. Quand il sera entré dans cette grotte, je devrai l'affronter, le tuer avant qu'il ne me morde. Pour mon malheur, je crois avoir reconnu un Naja Haje à son cou gonflé en forme de disque. Le cobra d'Égypte qui peut atteindre 2,50 mètres de long et au redoutable venin neurotoxique. S'il parvient à me mordre de ses crochets, mes muscles respiratoires vont se paralyser en premier et...

Je ne veux pas mourir ! Je parcours les murs de la grotte du faisceau de ma lampe, à la recherche de moyens de me protéger ou d'attaquer le Naja. Je doute que je sois plus rapide que lui surtout que je n'ai aucune arme pour l'attaquer. Il me faudrait une massue, mais je ne vois rien qui y ressemble. Ou bien une lourde couverture pour la lancer sur lui et l'aveugler, le temps de m'enfuir par les escaliers. Mais ce n'est pas la charpie de coton qui fera l'affaire. Je parcours fébrilement la grotte : je dois vite trouver le moyen de me débarrasser du monstre !

Quelque chose vient de bouger, ou alors est-ce une ombre née des irrégularités de la roche, dans un renfoncement de la grotte et je tends en tremblant la lampe dans cette direction. Si le Naja est venu avec sa famille, de l'arrière-grand-père à la flopée de cousins germains et issus de germains, je suis vraiment fichue !

Je recule, saisis un tesson de la cruche que j'ai brisée et je l'empoigne fermement à la manière d'un poignard. Je bredouille :

- I... I... Il y a quelqu'un ?

Bien sûr je ne reçois aucune réponse, qu'est-ce que j'espérais ? J'ai tellement les chocottes que pour une fois j'aimerais bien qu'un prince charmant dressé sur son cheval blanc surgisse du néant pour trancher d'un seul coup de sabre la tête du Naja et de sa famille nombreuse ! Je raffermis ma prise sur le tesson de cruche et je m'avance vers l'ombre qui danse sur le rocher. Par un réflexe, superstitieux sans doute, je le plante dans l'ombre, au cas où elle serait vivante. Mon poignard de fortune traverse non pas le rocher, mais une sorte de tenture, de la même couleur brune que la roche et que je déchire en lambeaux en voulant retirer le tesson. Y aurait-il une sortie cachée derrière cette tenture ?

Je lance un coup d'œil vers les escaliers, toujours pas de cobra en vue. Vite, j'écarte les lambeaux de la tenture pour avancer vers ce que j'espère être l'issue de secours, mais ce que je découvre me laisse sans voix. Ce n'est sûrement pas un secours terrestre que j'obtiendrai en m'aventurant plus loin, mais un secours divin, si seulement j'avais la foi. Car derrière cette tenture se cache un des plus incroyables temples d'Égypte antique ! Une grotte aux parois et à la voute recouvertes de bas-reliefs peints, représentant les dieux antiques, dans ces postures profil/trois-quarts/face caractéristiques. Sous les rayons du disque solaire divin Rê, je reconnais Horus, à tête de faucon, incarnation du ciel et du soleil ; Anubis à tête de chacal et protecteur des morts, Thot à tête d'Ibis, le dieu lunaire protecteur des scribes, et il y en a tant d'autres, représentés surtout dans des scènes d'offrande... C'est à couper le souffle !

L'un de ces dieux me semble particulièrement mis en valeur par le nombre d'offrandes qui lui sont faites, jarres d'huile, lotus, boisseaux de céréales, parfums et j'en passe. Pourtant ce dieu est figuré par une simple momie humaine debout, portant la calotte et le pectoral des scribes... Ptah, bien sûr, patron des artistes et donc du « sânkh », celui qui fait vivre , le sculpteur qui a réalisé cette œuvre incroyablement vivante... Puis mon regard est captivé par une femme couronnée, aux traits et à la silhouette sublime, qui me rappelle furieusement quelqu'un ? Je déchiffre fébrilement les hiéroglyphes gravés au-dessus...

«Neferfrouaton », ce qui signifierait « la Belle est venue »...

Mes mains tremblent tellement je n'ose croire à ce que j'ai découvert : ce serait le cartouche de la reine Néfertiti à la beauté légendaire ??? Je recherche la représentation de son époux, Akhénaton, le pharaon aux côtés duquel elle a régné il y a plus de 3300 ans. Mais il est absent des bas-reliefs. C'est alors que je distingue, sous les pieds de la reine, des hiéroglyphes de toute petite taille indiquant le nom du serviteur de Ptah , le sânkh Ptahmosé...

Mon esprit s'enflamme à imaginer une histoire d'amour impossible entre un humble sculpteur et la plus inaccessible des reines, quand la lumière émise par ma torche se met à monter d'inquiétants signes de faiblesse, me ramenant brutalement à la réalité. Je dois et je suis la seule à pouvoir porter cette découverte historique aux yeux du monde. Mais à quoi bon si je dois mourir par la morsure d'un cobra ? Je range la torche désormais inutile, je glisse le tesson dans une poche de mon jean, j'arrache ce qui reste de la tenture. Je respire profondément et je m'avance d'un pas martial dans l'obscurité vers les escaliers, prête à aveugler l'animal avant de le poignarder sauvagement

Chevaux de légende Tome 2 :Amira, Princesse d' ÉgypteWhere stories live. Discover now