Chapitre 13

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Je rumine ma rage pendant le trajet. Cet homme, Hannibal, dispose d'un immense pouvoir et peut l'exercer comme bon lui semble, en toute impunité. John et Battushig m'ont bien fait comprendre que ni la police locale, ni l'ambassade américaine ni personne ne nous prendraient au sérieux. Je hais les dictateurs. Mais comme tous les dictateurs, qui ne sont que des hommes après tout, il a forcément un point faible. Reste à le trouver, avant de s'en servir contre lui. Mais en attendant je dois lui céder et ça me donne envie de hurler. John, très pragmatique, a rangé le triangle dans une boîte à échantillons, qu'il a glissée dans un petit sac à dos avec une bouteille d'eau et d'autres objets, et depuis notre départ du Caire il a le visage sombre et il n'a pas pipé mot.

Saint Bishoy nous offre une vision spectrale sous l'œil d'Osiris, le soleil de la nuit. Sous le velours céleste piqueté d'étoiles froides, les bâtiments silencieux prennent une couleur de cendres, oscillant entre le gris et l'argent terni. Dans la pénombre de la cour du monastère où nous attendons un signe, une silhouette surgit soudain du vide, se matérialisant dans l'ombre tel un spectre. Je réprime un cri en reconnaissant le frère Zacharias, dont l'écho des pas a été absorbé par la terre battue.

- Vous avez apporté ce qui vous a été demandé ?

Sa voix glaciale et menaçante me fait frissonner. John hoche la tête en montrant son sac à dos. Le regard de frère Zacharias passe John au scalpel, mais il ne bronche pas et soutient son regard. Le moine nous fait alors signe de le suivre et nous traversons la cour, passons devant l'église de la vierge puis le réfectoire. Puis nous empruntons un étroit escalier qui s'enfonce dans les ténèbres. Une fraîcheur sépulcrale me hérisse les poils, à moins que ce ne soit l'appréhension. John allume alors la fonction torche de son téléphone, précédant de quelques fractions de secondes le geste de Frère Zacharias qui met en service sa lampe torche. À peine rassurée par la présence de la lumière, je suis les deux hommes dans un couloir poussiéreux qui sent le rance et le moisi. Arrivés devant une porte, John se renseigne :

-Monsieur, euh, mon père, est-ce là la grotte où se réfugiait le Saint Bishoy ?

- Non, répond frère Zacharias d'un ton blasé, ici ce sont juste des caves à huile.

- Mais c'est aussi dans ces caves que furent découverts au XIXe siècle des manuscrits rapportés par les moines ayant fui les persécutions en Syrie et à Bagdad au VIIIe n'est-ce pas ? Les manuscrits que Leyla a trouvés dans la grotte peinte, et que vous avez sûrement déjà examinés, sont-ils de la même période ?

Surpris par ces questions en rafale, frère Zacharias s'immobilise un instant et scrute John de son regard vert et or, avant de répondre :

- Ils datent de la fin du IIIe siècle avant JC. En quoi cela vous intéresse-t-il tant ?

- Quel lien y a-t-il entre ces manuscrits et le triangle de métal que veut si ardemment Monsieur John Fitzgerald Hannibal ?

Le regard du moine se voile et c'est comme s'il parlait à quelqu'un d'invisible derrière nous :

- Il y était écrit : « Les meilleurs secrets se cachent en pleine lumière »...

Puis il part soudain d'un rire quasi démoniaque qui se répercute sur les parois du couloir :

- Mon Dieu tu ne m'as pas jugé digne de comprendre Ton message... La lumière du soleil ! Ce qu'une stupide femelle...

La haine de frère Zacharias se déverse sur moi comme des coulées de lave ardente. Houlà ce que je devine de rage et de frustration chez cet homme, et qui le rendent plus dangereux qu'un cobra, me terrorise tellement que je me mets à secouer le bras de John en bégayant :

- D... Donne-lui le triangle, John, vite !

- Ah mais non ! Si monsieur Hannibal vous a promis un million de dollar en échange du triangle, l'échange doit être fait dans les règles ! Suivez-moi !

Il marche à pas saccadés dans le couloir, jusqu'à une porte en bois fermée avec une grosse clé, qu'il ouvre d'un geste empli de colère :

- Vous vouliez voir la grotte où se réfugiait Saint Bishoy ? Eh bien je vous en prie, la visite est gratuite ! Ici il y avait une chaîne suspendue à laquelle il attachait ses cheveux pour ne pas s'endormir pendant sa méditation, en attendant que Dieu lui envoie une vision... Une vision !!!

Encore ce rire dément. Nous le suivons tandis qu'il s'enfonce dans la grotte du Saint, saisit une mallette noire puis tend la main comme s'il réclamait une pièce. Je distingue sur son poignet une croix noire tatouée, la croix des coptes, déformée par de nombreuses cicatrices boursouflées, comme celles de scarifications. Ça me colle des frissons. Sans le quitter des yeux, John plonge la main dans son sac à dos et en ressort la boîte contenant le triangle, qu'il dépose dans la paume du moine. Celui-ci referme la main dessus et la glisse dans une poche. Puis vif comme un serpent, il s'empare de la mallette, bondit hors de la grotte, rabat la porte sur nous et tourne la clé pour nous y enfermer.

Je suis tétanisée de frayeur, et en même temps soulagée de ne pas me retrouver à la merci du moine psychopathe. Je me tourne vers John, avec une pensée pas très jolie qui se dessine dans ma tête. Sportif comme il est, pourquoi n'a-t-il pas tenté de faire une prise de Judo, de Karaté ou même de mettre un coup de boule à frère Zacharias, histoire de l'empêcher de nous emprisonner comme des bleus ?

Comme s'il lisait dans mes pensées, John tend son téléphone devant moi :

- J'ai préféré le faire parler. J'ai filmé ses aveux.

- Ah oui ? Et ça va te servir à nous faire sortir de cette prison ?

- Non, ça nous servira après. Suis-moi.

John baisse la tête et s'avance vers un renfoncement de la grotte, où il s'agenouille. Là, il pousse une petite porte en bois, qui débouche sur un second tunnel, nettement plus étroit que le premier :

- Les moines étaient prévoyants, à cette époque d'invasions en tout genre. Ils avaient aménagé un moyen de fuir discrètement du monastère. Si tu veux bien me suivre...

- Mais Zacharias savait qu'on finirait par trouver cette issue ?

- Forcément. J'imagine que c'était pour lui laisser un temps d'avance suffisant pour qu'il mette l'argent à l'abri. Qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour un million de dollars...


Chevaux de légende Tome 2 :Amira, Princesse d' ÉgypteWhere stories live. Discover now