quarante-deux ✵ madeleine

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Certains pensent que le bus n'est autre qu'un simple transport en commun. Pourtant, moi, depuis cette semaine, ce bus représentait mon seul confort, ma planque.

Cela faisait trois jours, 72 heures que les longues montagnes et traînées de neige me manquaient et que mon seul réconfort se trouvait dans ce pauvre bus. Je montais les marches le matin, je me promenais au bord du canal quelques minutes avant de prendre le prochain pour rentrer chez moi.

Des allers et retours sans fin, à me poser des questions compliquées, difficiles et insolubles. C'était difficile d'y croire au fond, que tout le monde me cachait des choses.

Aujourd'hui, assis pour la première fois sur un siège depuis plus d'un an, je touchais la matière louche du fauteuil, au dossier désagréable et au design foireux. J'avais envie de rouler une clope mais le regard douteux que m'envoyait le conducteur me calmait dans mon élan.

À quelques sièges, je reconnus une vieille dame. Je l'avais déjà vue une fois, un matin. Ce jour-là, j'étais descendu en avance pour regarder la mère de l'enfant qui lui avait laissé la place. Les souvenirs remontaient à la surface et mon corps se crispa davantage.

Dans ma tête, j'avais sûrement besoin d'espace. Chrystal passait un jour sur deux avec mon frère et je la voyais gambader entre ma chambre et celui de Duke tout sourire. Elle me racontait déjà ses journées fatigantes, ses soirées avec quelques amies de passage. Moi je la regardais sourire, enchantée par la situation.

De mon côté, je n'allais pas bien. J'avais l'impression qu'elle me mentait, que ce qu'elle cachait n'était pas digne de moi. Et je me sentais encore plus naze.

La vieille dame se leva, avant de s'asseoir sur le siège à ma droite. Je levai les yeux vers elle. Elle laissait ainsi deux sièges libres à un petit couple et d'un élan de gratitude, je lui souris. Cette femme était formidable.

Elle portait un petit chapeau et clignait deux fois plus les yeux que moi. La dame avait des gants en soie, cousu d'un motif exotique, orientale. Ses cheveux blonds pas assez longs pour être longs, et pas assez courts pour être courts, étaient raides et exagérément lisses. Ses yeux gris tachés de vert luisaient un air de défi en me regardant.

Je l'imaginai jeune, vertueuse et rebelle. La clope à la main, embrassant des tonnes et des tonnes de gars. Je la voyais rencontrer le grand amour de sa vie, dans son campus universitaire, pendant une heure de travaux à intérêts généraux. Habillé de sa robe de mariée blanche comme la paix, maquillée comme jamais, marchant droite jusqu'à l'être aimé. Les années qui s'enchaînèrent furent floues avant de déboucher sur un bébé, tenu dans les bras, aux cris perçants. La sueur de la peau de la femme perlait sur son nez, ses joues avant de s'écraser lentement contre le cou. Puis un deuxième enfant, la même scène, les mêmes yeux fatigués et la même euphorie. Le petit pavillon acheté, les clopes fumées et les enfants grandissant.

Cette bonne vieille dame m'inspirait une vie banale, de classe moyenne très monotone. Et pourtant elle respirait le bonheur, la joie. Elle avait bien vécu et son petit sourire aimable me montrait à quel point il en fallait peu pour être heureux.

- Vous voulez un peu de madeleine jeune homme ? Commença-t-elle en sortant des petits gâteaux d'une boîte.

Parler entre passagers dans le bus n'était pas très courant. Certes certains se disputaient, d'autres râlaient ensemble à cause des bouchons mais les petites discussions entamées comme celle-ci se faisaient bien rare.

- Vous semblez tellement morose, prenez-en un.

Elle me tint le petit morceau et je la remerciai poliment. Je la laissai au creux de mes mains, touchant à peine à la matière moelleuse du bout de madeleine.

- Oh c'est mon arrêt ! Au revoir mon garçon et messieurs dames! S'écria-t-elle en souriant avant de se lever et de partir.

Je sortis du bus quelques stations plus tard avant de jeter la madeleine dans une poubelle. Le gâteau sentait terriblement bon et la faim me tenaillait à chaque instant. Mais le contexte dans lequel elle m'avait donné la pâtisserie ne me plaisait pas. À la place, je préférais être morose et entamer une roulée en marchant.

***

Désolée pour le retard, je n'arrivais pas vraiment à écrire. Ce chapitre m'a vraiment fait du bien niveau espace dans l'intrigue.

Je voulais aussi vous remercier pour les 4000 votes, j'ai même plus mots pour vous remercier au fond. Bref, merci. ♥

Trente minutesWhere stories live. Discover now