La Voleuse des Mers

3. Le plan tombe à l'eau

À l'instant même où les canons ont résonné, j'ai su que mon moment idyllique avec Jaden venait de prendre fin.

— Par mille sabords ! a juré Jaden en remontant sur le pont.

Je l'ai suivi et ce que j'ai vu m'a prise de court : un navire avançait terriblement vite vers le nôtre.

Comparé au Golden Blood, le bateau ennemi n'avait pas l'air dans un très bon état. La sirène, qui représentait sa figure de proue, était décapitée, tandis que les voiles étaient déchirées à plusieurs endroits. En haut du mât principal était accroché un drapeau noir portant la célèbre signature des pirates : deux sabres entrecroisés surmontés d'une tête de mort.

Un instant j'ai pensé que c'était le Capitaine Anger qui nous pourchassait pour ravoir son bateau, mais c'était totalement impossible puisque le navire arrivait de la direction opposé à l'île d'Angilla.

Sans perdre une seconde de plus, Jaden et moi nous sommes précipités vers nos canons. Le Golden Blood en comptait quarante-huit, mais, puisque nous étions seulement deux, nous nous sommes contentés d'en utiliser qu'un.
J'ai allumé la mèche et Jaden s'est préparé à tirer. Il a visé le bateau et... boum ! Le projectile s'est propulsé dans les airs, mais beaucoup trop en hauteur, ratant ainsi complètement la cible.

— Si tu voulais m'impressionner, c'est raté, me suis-je moquée en retenant mon rire.

— Fais-le si tu crois être meilleure, à marmonné Jaden, son égo visiblement atteint.

J'ai pris sa place et rechargé l'arme. J'ai pris mon temps pour viser, désirant plus que tout réussir mon tir pour embêter Jaden. Celui-ci s'est impatienté.

— Si tu pouvais le faire dans la prochaine année, ça serait bien. L'ennemi avance vers nous.

— Non, sérieux ?

Je me suis concentrée de nouveau à ma tâche et, au moment où le canon allait être projeté, une atroce secousse a fait trembler le Golden Blood, me faisant à mon tour rater ma cible.

Une voile est tombée à quelques mètres de nous, ce qui a empêché Jaden de porter une remarque cuisante sur mon échec.

Ensemble, nous sommes allés voir l'ampleur des dégâts. Le canon ennemi avait atteint un mât et celui-ci était tombé lourdement, faisant ainsi éclater le pont principal. À mon grand effroi, j'ai remarqué que de l'eau commençait à submerger la proue.

— Qu'est-ce qu'on fait ? ai-je crié à Jaden, paniquée.

— C'est toi qui a toujours un plan d'habitude.

Qu'il se montre aussi désinvolte devant la situation m'a mise en colère. Si le Golden Blood coulais — ou plutôt quand il coulera —, nous sombrerons tragiquement avec lui et nos brèves aventures prendront fin ainsi.

J'ai regardé par-dessus bord et remarqué que le navire ennemi à l'étrange pavillon n'était plus qu'à quelques mètres du nôtre.
«Je dois trouver une solution. Il n'est pas question que mon histoire s'achève comme ceci», ai-je pensé.

Tout à coup, je me suis rappelée du canot de sauvetage attaché à tribord et, dans un élan d'adrénaline, j'ai accouru vers notre seule chance de survie.

— Jaden, suis-moi !

Il a obéit et nous avons atteint le canot. Jaden a su où je voulais en venir et, ensemble, nous avons descendu l'embarcation en coulissant les cordes aux extrémités.

Habitués de travailler à deux, l'opération a pris à peine quelques minutes, mais c'était quand même trop : l'eau engloutissait le navire à une vitesse effrayante.

— Embarque dans le canot ! m'a ordonné Jaden et je l'ai écouté.

Il a détaché son sabre de sa ceinture, puis, d'un geste expert, il a tranché les cordes qui rattachaient la petite barque au bateau. Assise dans le canot, j'ai regardé le Golden Blood qui s'inclinait lentement dans la Mer des Caraïbes, suivi du navire ennemi dont l'équipage était probablement très satisfait de sa conquête. Devant cette scène, je n'ai pu m'empêcher de me sentir comme la plus lâche des pirates. Jamais dans ma vie je n'avais pris la fuite comme à cet instant.
«Ce n'est pas comme si j'avais le choix», me suis-je rappelé.
Et je crois que c'est cela qui me mettait le plus en rogne; je ne pouvais supporter de ne pas avoir le contrôle de la situation.

— Vite, on n'a pas de temps à perdre ! a dit Jaden en prenant place à son tour dans le canot. Prends une rame. On sait jamais, peut-être qu'ils ne nous laisseront pas partir aussi facilement.

Je me suis exécutée et nous avons commencé à ramer de toutes nos forces. Mais, après à peine quelques mètres parcourus, je me suis arrêtée.

— La carte, ai-je dit dans un souffle.

— Quoi ? a demandé Jaden en se retournant vers moi.

— La carte. On l'a laissé dans la cabine du capitaine.

Jaden m'a regardé droit dans les yeux. Il savait exactement à quoi je pensais.

— Abby, non.

J'ai observé à nouveau le Golden Blood qui sombrait lentement. La proue était complètement immergée, mais ce n'était pas le cas pour la poupe. Cela voulait dire que la carte était encore intacte dans la cabine.

— Je ne peux pas laisser un si beau trésor couler. Je suis sûre que tu me comprends, n'est-ce pas ?

Il a longuement posé son regard sur moi, puis a hoché la tête. Je lui ai fait un petit sourire et dit :

— Je reviens dans quelques minutes.

À l'instant où mon corps est entré dans la mer, j'ai su que j'allais regretter mon choix. Mais, comme toujours, mon côté impulsif a pris le dessus.

J'ai rapidement franchi la distance entre le canot et le Golden Blood. Puis, sans même utiliser l'échelle en cordes, je suis parvenue à grimper dans le bateau grâce à la proue qui était inclinée dans la mer. Trempée de la tête aux pieds, je me suis dirigée vers la cabine du Capitaine Anger, ne me préoccupant pas de l'ennemi qui s'avançait dangereusement vers moi. Dans la pièce ténébreuse, la carte reposait sur la table où Jaden l'avait laissée. Je l'ai attrapée et insérée à l'intérieur de la poche de ma veste. Puis, sans perdre une seconde de plus, je me suis précipitée hors de la cabine et, à ce moment, un cri m'a figé sur place.

— Capitaine ! Je vois quelqu'un là !

Étrangement, la voix semblait être celle d'un garçon très jeune. Curieuse, je me suis retournée et j'ai discerné une petite silhouette sur la proue du bateau ennemi. Une autre d'une taille plus grande est venue la rejoindre.

— Qu'est-ce que vous attendez ? a dit celle-ci. Lancez un canon !

Dès que ces mots sont parvenus à mes oreilles, j'ai pris mes jambes à mon cou. Mais, c'était trop tard. J'ai entendu un sifflement, suivi d'un boum ! et d'une terrible secousse. Je suis tombée par-dessus bord et quelque chose m'a frappé violemment la tête. Puis tout a viré au noir.