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Pendant longtemps, le laboratoire ne fut interdit d'accès. Ce qui ne m'empêchait pas de m'y faufiler en douce. Et même si, maintenant, il n'était plus nécessaire que je me lève la nuit pour rendre visite aux garçons, il m'arrivait encore de me réveiller sur les coups de minuit par habitude.

Assise au bord de mon lit, le bois râpeux du plancher contre mes pieds nus, je me frottai les yeux pour en chasser les dernières traces de sommeil. Sur le mur, les ombres des érables du jardin se balançaient découpées par un rayon de lune.

Huit mois plus tôt, mon père m'avait proposé de l'assister dans son travail et à présent, je pouvais descendre au laboratoire dès que l'envie me prenait. Mais ce n'était plus pareil : avoir la permission de voir les garçons était moins excitant que de m'introduire chez eux en cachette.

Je savais désormais par coeur quelles planches grinçaient dans le couloir et les évitai automatiquement, traversant au pas de course le salon, puis la cuisine, pour descendre quatre à quatre les marches menant au sous-sol.

L'escalier débouchait dans un genre de vestibule. Un boîtier électronique était fixé au mur et ses touches minuscules luisaient dans le noir. Pour un homme qui appartenait à une organisation secrète, mon père n'était pas très prudent : ses combinaisons étaient faciles à trouver, j'avais découvert le code quatre ans plus tôt, lors de ma première expédition nocturne. Il n'avait pas changé depuis.

Je tapais les six chiffres, et les touches produisirent un petit bip sous la pression de mes doigts. La porte couina en s'ouvrant et un souffle d'air filtré m'accueillit. Ma respiration s'accéléra ; chaque cellule de mon corps vibrait d'appréhension.

Je pénétrai dans le laboratoire. La pièce, aménagée confortablement, paraissait de petite taille mais était en vérité bien plus grande que les plans de la maison ne le suggéraient. Mon père m'avait raconté que le labo avant été construit en premier et que la ferme avait été bâtie par la suite. L'Agence avait fait tout son possible pour que le projet, et les garçons, se fondent dans le décor, en plein milieu de l'Etat de New York.

A droite du laboratoire était installé le bureau de mon père et, à côté, le mien. Sur la gauche, un réfrigérateur, un placard et un cagibi où nous rangions notre matériel. Occupant tout le mur du fond, on trouvait les chambres des garçons : quatre pièces vitrées séparées entre elles par un mur de briques.

Les chambres de Luke, Michael et Calum étaient plongées dans le noir, mais une lueur brillait dans celle d'Ashton, la deuxième en partant de la droite. Il se leva de sa chaise dès qu'il m'aperçut. Je ne pus m'empêcher d'apprécier les lignes de se abdos, de m'attarder sur ses hanches ; il ne portait que le pantalon de survêtement gris réglementaire.

-Hé, dit-il.

Le son de sa voix était étouffé, filtré par les minuscules bouches d'aération insérées dans la vitre. Une vague de chaleur remonta le long de ma nuque, m'empourprant les joues. Je m'approchai, tentant de me calmer, de paraître normale.

Depuis que je les connaissais, les garçons souffraient d'amnésie, un effet secondaire malheureux de la mutation. Malgré cela, j'avais pu saisir des fragments de ce qu'ils étaient réellement, de leur être profonds. Tous, sauf Ashton. Ashton ne me donnait à voir que ce qu'il estimait nécessaire. Ce qui le définissait vraiment demeurait hors d'atteinte.

-Salut, murmurai-je.

Ne souhaitant pas réveiller les autres, je me déplaçai sur la pointe des pieds. En présence d'Ashton, je prenais davantage conscience de mes coudes saillants, de mes genoux noueux, et de mon pas lourd. Ashton avait été modifié génétiquement, transformé en une créature supérieure. Il était plus qu'un simple être humain et cela se percevait dans chacune des courbes de ses muscles élancés. Je ne pouvais rivaliser.

AmnesiaWhere stories live. Discover now