Nuages lourds de pluie

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Pour leur deuxième sortie, Wyndt décida de prendre en compte le fait que Sael et lui partageaient un même amour pour la nature et prit le temps de lui présenter les arbres au fur et à mesure de leur avancée : le pin odorant aux épines tendres, presque douces quand on les caresse ; le cèdre dont la cime s'étale comme de verts nuages, le mélèze aux épines caduques —celui-ci abritait une chouette chevêche depuis plusieurs années.

D'abord renfrogné, Sael finit cependant par s'intéresser à ces présentations (de loin, en faisant autant que possible mine de ne pas écouter), mais iel se rapprochait tout de même insensiblement de Wyndt pour mieux l'entendre, et voir ce que l'autre lui montrait : là, les petites billes sèches et noires laissées derrière lui par le pompon d'un lapin, ici la tâche violette sous les graines de mûrier qu'un renard avait mal digérée ; une vesse de loup encore jeune, quelques cercles des fées, une fourmilière haute jusqu'à l'épaule.

Absorbé par ces nouveautés, Sael en oublia complètement de faire la tête.

Une Pierre-Parlez se dressait sur leur chemin, mais Wyndt n'était pas d'humeur à discuter avec la forêt ; ce ne sont pas des choses que l'on force. Cependant, alors qu'il passait devant, il remarqua une nuée de papillons attirés par les gouttes de rosé qui imprégnaient les recoins de la pierre et s'arrêta un moment pour admirer leurs ailes délicates.

Les antennes zébrées d'un minuscule argus bleu parurent par l'ouverture de la Pierre-Parlez, et le petit papillon aux ailes liserées de blanc s'aventura à la recherche d'eau en tâtonnant du bout de la spirale délicate de sa trompe noire.

Ce type d'azuré était si commun que Wyndt n'eut aucun mal à l'identifier. L'insecte avançait par à-coups rapides, ses ailes repliées en une sorte de triangle arrondi, ocellé de noir. Leur bordure s'ornait de motifs semblables à ceux que l'on retrouve à l'extrémité d'une plume de paon, mais ces yeux là étaient peints en orange et en blanc.

En descendant le long de la pierre, le papillon ouvrit les ailes, sans doute pour garder l'équilibre ; Wyndt fronça les sourcils, car un reflet de la lumière...

Il se tourna vers Sael, ravi de lui faire partager sa découverte. L'adolescent fronça les sourcils, méfiant.

Impatienté, Wyndt se détourna en passant une main dans ses propres cheveux pour y prélever de la transpiration afin s'attirer l'insecte ; il approcha lentement une main de lui et, après avoir voleté quelques instants autour, le papillon vint s'y poser. Wyndt pu alors le présenter à l'enfant.

« Regarde ses ailes ! Tu vois à quel point elles sont différentes ? »

Éternellement suspicieux, Sael se rapprocha néanmoins pour jeter un coup d'œil.

Si l'intérieur de ces ailes pouvaient sembler presque identiques à un néophyte, leur dos ne pouvait laisser place au doute : l'un côté était gris cendre, poudrée d'une poussière bleue électrique qui avait valu son nom à l'espèce ; l'autre, en revanche, arborait les couleurs chaudes de l'automne, brun avec des taches oranges sur le bord extérieur.

« Je ne savais pas qu'il y avait des espèces de papillons de ce genre » dit Sael en fronçant les sourcils. « D'habitude, ils sont plus symétriques, non ? »

Wyndt semblait tellement heureux que cela lui faisait presque peur.

« C'est un... comment est-ce qu'on dit ça déjà ? Un spécimen gynandromorphe. C'est-à-dire que de ce côté, là, il est composé de cellules mâles —d'où sa couleur bleu— et de l'autre, il est composé de cellules femelles, qui donnent des ailes marrons. Comme tu peux le voir la démarcation n'est pas très nette, et, il me semble, il existe d'autres types de gynandromorphisme —c'est long comme mot, dis-donc... Je crois que c'est un gynandro... bref, de type bilatéral, parce qu'il se manifeste de part et d'autre de l'individu. »

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