17. Facile

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Journal,
La semaine qui avait suivi la dispute avait été riche en tout (en disputes notamment). On avait le cul entre deux chaises, surtout Camila moi j'étais plutôt au sol. Je l'implorais, faisais mon enfant avec elle, je lui demandais de ne pas me quitter, qu'il fallait qu'elle me donne une dernière chance. Le problème, c'était que je ne la méritais pas, cette chance ! Et je le savais (bonus) donc mon pouvoir de persuasion sur ma copine était totalement au plus bas de son échelle (bonus x2). Mon erreur était impardonnable. Camila logeait dans une autre chambre de mon duplex, quand elle me voyait (quand je me montrais), elle avait l'air à bout de nerfs ou elle pleurait. Moi aussi. Je ne me serais pas à sa place.  Je n'aurais jamais pu gérer ça. J'aurais fui.

Caedmon m'avait traitée comme une chienne, une belle et pauvre chienne que l'on mène par le bout du museau avec une friandise de sous marque. L'odeur et le goût sont ignobles, mais la chienne avance quand même. J'étais tellement soumise (horriblement dévouée à un homme pour lequel je portais un amour irrationnel et une crainte sans limites). Il vivait dans une petite maison typique en briques, près du quartier français. C'était à sa grand-mère, qui venait de rendre l'âme. Il avait transformé cette baraque en planque, en cartel, en piaule, en refuge. C'était si froid, mal accueillant, il n'y avait jamais quelque chose dans le four ou la télé d'allumée et la moquette rose avait l'air d'une immense tâche de sang mal enlevée. Ses parents payaient les factures, lui la squattait. Il était étudiant en géographie. Je l'avais quand je venais tout juste d'emménager. Dans un pub d'une rue déplorable, un soir glacial. Il faisait tellement froid que j'avais pris un café. Un café. Il venait là pour se mettre des nanas dans la poche, mais il m'a vue. Il n'avait rien de spécial, au fond. Il me draguait comme l'avaient fait beaucoup d'autres. Mais je pensais que c'était différent. Il me faisait sentir importante. Importante, hors du commun, amazing, tout à fait en dehors de son lot de copines. Il avait des traits banaux, quoi qu'il y avait une certaine symétrie (je m'étais amusée à l'esquisser, puis à le peindre, lui aussi), un sourire comme on en croise des dizaines et des dizaines au quai d'un métro, des yeux bleus froids et vides. Cela m'a plu (mince !) et le soir même, j'étais dans ses draps rêches. Il m'avait aidée à finaliser mon déménagement et puis on ne s'est plus quittés. Il passait plus de temps à la maison que moi chez lui, je n'aimais pas trop l'ambiance. Un slip, une brosse à dents, un t-shirt, un double des clés. Nos amis se connaissaient, au final. Il m'introduisait toujours comme sa sumptuous Lauren. Quand il voulait que je lui masse le dos, il m'appelait Lolo (aussi ridicule et puérile que cela puisse sonner). Ses parents n'avaient rien de transcendant, rien de notable, ils me trouvaient mignonne. Il avait trouvé les miens gentils. Puis ça a commencé à devenir toxique. Je suis un peu sortie de mon enveloppe de petite amie parfaite qui ne répond pas. Je reprenais les drogues, avec lui c'était comme avec Emma. Une rétrospective horriblement glauque. Caedmon, son petit accent anglais pour lequel j'éprouvais une adoration idiote, ses cheveux foncés rasés, sa barbe de trois jours et ses tatouages, ses gueules de bois, ses crises, son air toujours sérieux. Il n'allait pas beaucoup en cours, moi j'essayais de rester sérieuse dans mon envolée artistique, il était jaloux de mon ambition. Dispute. Il me pousse. Ce n'est pas grave, il n'est pas sobre, tout ira bien. Dispute. Il me gifle, puis me prend par le cou contre le frigo. Les magnets de Rome, Prague et Alger tombent sur le parquet. Je ne dis rien, je continue à lui tenir tête. Car je suis Lauren La Lucide, Lauren Qui A Raison, Lauren Qui S'Oppose. Je veux gagner, je gagnerai. Ça ne lui plaisait pas. Quand mes arguments le blessaient, il me violentait. Ça empirait. Il voulait faire de moi sa chose, il voulait me dompter, me contrôler. Moi je l'aimais. J'étais contente de retrouver quelqu'un après Emma. Quelqu'un de vrai. Pas un coup d'un soir, dont on oublie le nom au réveil, l'haleine pleine de bière ou de sexe, ou les deux (la plupart du temps). J'étais restée, c'était simple de se dire que ça lui passerait, en espérant que je ne lui passerais pas. J'ai toujours eu peur des gens qui se lassent. À l'époque, j'étais beaucoup plus prévisible que maintenant. Avant j'avais peur qu'on s'ennuie de moi, comme on peut se lasser d'une couleur, d'une image, d'un lieu, d'une boisson. Je voulais être la couleur universelle, comme celle des cieux (personne ne hait le bleu ciel, si ?), je voulais être la musique favorite de tout le monde, je voulais être l'eau (tout le monde en a besoin ?). Une insécurité qui pesait lourd. Caedmon était instable. Ses crises devenaient de plus en plus fortes, j'avais des balafres, il s'excusait à peine. Il m'avait tiré les cheveux, fait des ecchymoses, "on" "couchait" souvent sans mon consentement. Étant féministe, je fonçais tête baissée à l'encontre de mes principes. Je défendais les femmes, les filles, les victorieuses, les victimes. Sans m'en rendre compte, j'en étais devenue une (l'amour rend aveugle, sourd, insensible [presque] et muet). Mais il ne partait pas, parce que je le connaissais mieux que personne. Je gardais ses secrets, j'achetais ses céréales préférées, je lui souriais quand il se réveillait. J'étais la petite amie gentille et douce, un peu entêtée, mais il suffisait de prendre le taureau par les cornes. C'était facile. J'avais mal, mais je restais. Je savais qu'il m'aimait (un peu quand même). Pourquoi ne penser qu'aux mauvais moments et tout quitter, comme s'il n'y avait pas eu de bonheur ? Rien qu'un peu ? J'avais été heureuse. Je me souviens d'un jour, au début. On était dimanche, il était quatre heures du matin. Il m'avait réveillée "c'mon Lauren! Dove! Waky-waky!" Et il m'avait emmenée à Wales, en voiture. On avait fumé des joints sur la plage puis on était repartis. Il m'avait raconté un tas d'histoires et m'avait dit que j'étais la deuxième femme qu'il emmenait ici. La première étant sa mère. Il était parti du jour au lendemain, avec une fille à Manhattan. Ça m'avait foutue en l'air. Vraiment, au plus bas. J'étais folle à lier. Je m'étais tellement acharnée à être bien pour lui que je ne savais plus qui j'étais, je ne voyais plus mes vraies couleurs. Je le pleurais, comme s'il était mort (il aurait dû l'être). Et finalement, j'avais rencontré Camila par hasard. Ça aurait pu être n'importe qui, dans cet aéroport, et elle aurait très bien pu ne pas être là, à ce moment précis. Je ne crois en rien. Dieu, karma, destin. Je crois à ce que je vois, ce que je ressens. Et ce que j'ai vu et ressenti ce jour là, c'était la première fois que ça m'arrivait (kitsch). J'ai tout simplement su. Je pouvais voir sa frimousse partout où j'irais. J'avais imaginé des croquis et peintures d'elle, des matins avec elle, des années avec elle, et ça, juste le temps d'une entrevue dans ces toilettes qui sentaient trop le parfum d'entretien. J'avais joué un rôle, ce jour-là. Le rôle de la parfaite-inconnue-fumeuse-rebelle-peintre-mystérieuse-à-souhait. Très cliché. Je l'intimidais, je testais les eaux avant même qu'elle réalise. Je l'avais cernée, je pouvais voir en elle ce qu'elle cachait mal. Il suffisait d'observer, d'en tirer des conclusions hâtives, mais justes. Si je m'étais trompée sur elle, elle se serait renfermée, vexée et je n'en serais pas là aujourd'hui. Comment regretter d'avoir visé et atteint le milieu rouge de ma cible ? J'ai été tellement heureuse, plus que jamais avec elle. Sincèrement. Elle réveillait et créait quelqu'un de pétillant en moi. Quelqu'un que je pourrais apprécier, que j'avais perdu. J'aimais tellement ce qu'on était et ce qu'on devenait. Les trois mois les plus purs de ma vie. L'insouciance délicieuse de Camila envahissait mon existence, ainsi que son esprit tout bien formé. Elle était tellement imparfaite qu'elle en devenait l'inverse. Je n'osais jamais miser aussi haut mais elle m'avait laissée entrer ou un seul avait mis les pieds. Son sourire, son fabuleux sourire, ses petites pommettes rondes et toujours saillantes, ses cils qui les caressaient délicatement. C'est tellement facile d'aimer quelqu'un comme ça. On lui aurait donné le monde. C'était plus simple que de cligner des yeux. Ça allait tout seul, comme une barque au cours d'un fleuve. Elle était tellement gentille, tolérante, patiente et humble. Elle était maladroite. Elle débordait d'amour, elle en avait trop à donner, elle était l'effervescence d'une pluie d'adoration. J'avais pu me faire tremper sous son orage calme. Cela m'avait fait tellement de bien de ressentir quelque chose de naturel, de bon, de sain, d'aisé. Bien que cela puisse paraître dur à croire, elle recevait aussi. J'avais très vite développé le besoin de lui montrer que je l'aimais. C'était juste un peu compliqué d'être démonstrative pour ma part. J'avais merdé, pour éviter d'aller trop vite (quelle conne) et je lui avais fait mal. J'avais rattrapé cette erreur en me dévoilant, ce qu'elle avait fait également. Un terrain commun pour lequel nous venions de détruire les murailles. On avait des plans, on se projetait. On voyait plus loin. J'avais eu le temps de réfléchir quand elle dormait dans mes bras. C'était peut être trop tôt. Mais je ne pouvais rien laisser gâcher ou détruire ces sentiments, ces futurs, ces amours, ces engueulades anodines. Je la voyais déjà rentrer du boulot, en sueur parce qu'elle privilégiait les transports "Tu pollues trop avec ta caisse !" portant un grand t-shirt jaune poussin rentré dans un jean noir. Elle aurait retiré ses escarpins avant même d'être sortie de l'ascenseur. Elle aurait posé ses clefs (le quatrième exemplaire après avoir perdu les trois précédents) dans un vide poche affreux acheté dans un shop à 1£. Je la voyais souffler, détacher sa queue de cheval, en s'écroulant sur un des divans où j'aurais été. Elle aurait caressé le velours kaki des gros coussins et mon poignet. Elle m'aurait regardée, comme si j'étais la seule personne au monde qu'elle voulait observer. Puis elle se serait penchée, j'aurais senti son odeur, son parfum un peu mielleux et sa senteur de tabac, et elle m'aurait embrassé la joue puis la bouche, tendrement, tout doucement, sans me dire bonsoir. Puis elle aurait regardé dans le vide de mes yeux quelques instants.
-J'nous fais des gnocchi?
J'aurais acquiescé en souriant même si j'avais pertinemment su que j'allais manger du charbon italien.
// voilà pour ce chapitre!! j'espère que ça vous plaît. j'ai bien peur de moins poster avec la reprise, mais je ferai tout mon possible. bon courage à ceux qui reprennent, @laurensdeluxe 💜\\

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