Chapitre 4

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Annabelle

     _ Vous dansez ?

     _ Avec vous ? Toujours.

     Avec classe, mon père saisit ma main et me mena au centre de l'immense salle de bal. Le silence se fit, l'attention se porta sur nous, la musique débuta.

     Nous valsâmes gracieusement. Appliquée, j'exécutai tous les tours qu'il me faisait faire à chaque pleine lune. J'étais une danseuse hors pair. Je souris de toutes mes dents blanches et il me sourit aussi, tout en gardant sa retenue habituelle.

     Je le détaillai avec attention, comme chaque fois qu'il me tenait dans ses bras. Son visage, bourru par les années, n'en était pas moins charmant. Ses yeux gris étaient vifs et pétillants, et tranchaient avec sa peau pâle de loup. Ses cheveux poivre et sel coupé court augmentaient son autorité naturelle. Il était très grand et massif et malgré ma taille — un mètre soixante-quinze — je me sentais comme une enfant inoffensive dans ses bras. 

     Les loups nous admiraient avec vénération.

     La dernière valse se finit avec douceur. La tribu entière applaudit, aux anges. Mon père retourna à son trône, me laissant seule au milieu de l'immense salle.

     Il se tourna vers l'assemblée, fier, prompt, imposant dans son statut de Loup Alpha.

     _ Mes chers loups, minuit approche. Que la Lune s'éclaire sur la transformation de notre Griffe, Annabelle Howlingmoon.

     Un silence paisible tomba sur l'assemblée, même si je sentais leur sang lupin bouillonner dans leurs veines. Leurs respirations trop fortes formaient un halo autour de moi.

     Les pierres de l'édifice claquèrent. Le château se modifia et ouvrit le toit de la salle en son centre parfait, pile au-dessus de moi. La lumière pure de la lune pénétra dans la pièce, les bougies s'éteignirent.

     Toute l'attention était focalisée sur moi et le moindre de mes mouvements, le moindre frémissement de ma peau était vu et approuvé.

     J'ôtai mes barrettes et les jetai au sol. Mes cheveux noirs cascadèrent jusqu'à mes reins et fouettèrent mon dos. Au ralenti, ma main glissa le long de mon corps, saisis la fermeture éclair de ma robe sophistiquée. Je la descendis et les halètements des loups augmentèrent.

     Les tissus noirs tombèrent au sol, dévoilant mon corps totalement nu.

     La pression augmenta encore d'un cran, les loups tremblaient d'une euphorie magique qui n'appartenait qu'à notre forme lupine.

     La lumière blanche de l'astre de la nuit concordait à la perfection avec la pâleur de ma peau. Mon corps de jeune femme était proportionné comme il fallait, assez beau pour susciter l'envie interdite.

     Je jetai ma tête en arrière, décollant ma masse de cheveux de moi. Je levai mes mains et mon regard bleu comme la glace vers la nuit.

     Tous mes muscles se crispèrent, mes poumons se contractèrent, ma peau remua, mes os grincèrent. Ma mâchoire s'avança, mes crocs émergèrent de mes lèvres, mes cheveux disparurent. Tous les pores de ma peau s'écartèrent et s'ouvrirent pour laisser s'échapper des poils noirs soyeux. Mes os grandirent, mes muscles s'épaissirent. Ma colonne vertébrale se brisa pour mieux se reconstruire, me créant une queue. Mes doigts rétrécirent et devinrent griffes. Mon cœur grossit. Mon ouïe, ma vue et mon odorat s'amplifièrent.

     Je retombai sur mes mains devenues pattes.

     La tribu m'acclama.

     J'adorais me transformer les soirs de pleines lunes. Pas seulement parce que c'était ce que mon instinct réclamait, ni parce que c'était exceptionnellement bon, mais aussi parce que c'était l'un des rares moments où nous pouvions nous transformer tous ensemble, sous le couvert protecteur de la nuit. J'aimais tant les règles qu'elles conféraient à chaque pleine lune une aura de bonheur.

     Euphorique, puissante, je me tournai vers mon père. Il se leva et se transforma à son tour. Il alla plus vite et avec moins de mise en scène. Un énorme loup gris se tint à sa place quelques secondes plus tard.

     Toute la tribu se transforma. Des magnifiques loups apparurent et je me retins de frémir d'impatience, ne devant pas me montrer trop enthousiaste. Leurs pelages bruns, fauve ou roux étaient lumineux et leurs yeux dorés étaient vifs et bons.

     Je levai ma gueule vers la lune et me mis à hurler. Tous m'imitèrent.

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