Chapitre 25 (Partie 1)

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Annabelle

— Annabelle ? Annabelle ? Aurais-tu l'obligeance, pour l'amour de Dieu, de m'écouter quand je te parle ?

Je clignai furieusement des yeux. Je me trouvais assise dans mon canapé, un livre d'histoire ouvert sur les genoux. Je n'aurais su dire quelle période j'étudiais, ni depuis combien de temps la tasse de thé, maintenant froid, se trouvait sur la table basse devant moi.

— Oui ?

— Oui, c'est tout ? Pourrais-je avoir le plaisir de savoir où tu es, Annabelle ?

Je redressai la tête. Mag, debout, les poings sur les hanches, attendait impatiemment que je réponde.

— Mais ici, voyons.

Ma voix me sembla sortir de nulle part.

— Non, tu es distraite. Absente. Ce n'est pas tolérable. Depuis le bal de la pleine lune, tu n'es pas réactive. Tu réagis à peine quand on te parle, tu manges moins, tu n'as rien fait du week-end ! Et je sais que Lana t'a invitée à venir chez elle hier après-midi. Ton comportement est incohérent. J'attends une explication.

Je la regardai sans la voir. Que pouvais-je dire, quels mots pouvaient résumer la torpeur floue, maussade, destructrice qui s'était emparée de moi, de ma vie, de tout ?

— Cela a-t-il un rapport avec Donovan ?

Pourquoi cela en aurait-il ? eus-je envie de lui lancer. Maintenant, toute ma vie tournait autour de lui, c'était cela ? Parce qu'il était homme, parce que j'étais sienne ? Je serrai les poings.

— Nullement, Mag. Je suis simplement très fatiguée. J'ai beaucoup de devoirs et des contrôles.

Elle ne s'y laissa pas prendre.

— Tu as intérêt à te ressaisir, Annabelle, et vite. Je ne sais pas ce qui te rends ainsi, et tu ne veux pas me le dire. Soit. Mais change d'attitude, ou j'en référerais à ton père. Je m'inquiète pour toi.

Elle attendit une réponse, n'en reçut pas, et sortit en trombe pour montrer son anxiété. Je n'avais pas besoin qu'elle l'exprime si bruyamment. Je la voyais dans les volutes brunes qui l'entouraient.

Se ressaisir.

Quelle expression bateau, dénuée du moindre sens. Quelle image insensée. Se saisir soi-même pour avancer. Je n'avais aucune idée de l'endroit où j'allais trouver cette force. Ni de l'endroit où j'allais me trouver moi-même.

L'image d'une forêt s'imposa à mon esprit. Avec ce trou au milieu des arbres centenaires, ce cratère sur le côté, marquant le début d'une histoire. Avec cette fille qui avait déboulé de derrière un arbre, échevelée, enragée, et de celle, anéantie, qui avait prononcé les pires mots qui soient.

Je me roulai en boule. Mon manuel s'écrasa au sol. Je passai mes bras autour de mes jambes et serrai, serrai au mieux. Peut-être que si je serrais assez fort, je pourrais empêcher mon cœur de tomber.

***

— Bonjour Annabelle, chantonna la voix de Sarah.

Elle apparut à mes côtés dans son sillage roux. Elle me fit un immense sourire. Je compris qu'il était socialement convenable que je lui rende. Ce que je m'efforçai de faire.

_ Bonjour, Sarah.

Elle engagea la conversation sur mon week-end — désolant, vide, stérile — et je donnai le change du mieux que je pus. Les cours me sauvèrent. Je m'appliquai d'heure en heure, focalisant toute ma concentration sur ce que nous étudions. C'était à la fois harassant et infaisable. Dès lors que mes pensées s'égaraient un peu du droit chemin, je me surprenais à scruter mon sac dans l'espoir de voir vibrer mon téléphone.

HowlingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant