Chapitre 1 - Séléné

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Université Michel de Montaigne — Bordeaux III


La chaleur est presque désagréable dans les couloirs du bâtiment de Lettres Modernes. Mais ce n'est en rien comparable avec celle qui règne à l'intérieur des salles de classe dans lesquelles, en prime, se mélangent les odeurs corporelles des étudiants. C'est pourquoi la plupart des enseignants ont choisi de faire cours avec la porte ouverte. La voix d'un élève, qui lit avec peine un texte en ancien français, résonne dans le couloir du premier étage :


« Garulf, ceo est beste salvage ;

tant cum il est en cele rage,

humes devure, grant mal fait,

es granz forez converse e vait.

Cest afaire les ore ester ;

del Bisclavret vus vueil cunter. »


La voix calme de l'enseignante l'interrompt dans sa lecture :


— Bien. Est-ce que l'un d'entre vous peut me lire la traduction en français moderne de cet extrait d'un lai de Marie de France ? Oui, Clara ?


Une étudiante assez fluette se penche sur son ouvrage et lit d'un ton plus assuré que son camarade :


« Le loup-garou, c'est une bête sauvage.

Tant que cette rage le possède,

Il dévore les hommes, fait tout le mal possible,

Habite et parcourt les forêts profondes.

Mais assez là-dessus :

C'est l'histoire du Bisclavret que je veux vous raconter. »


— Bien, reprend l'enseignante.


Elle se lève et fait face à ses étudiants, qui la regardent avec une admiration non dissimulée. C'est une femme d'une trentaine d'années qui dégage une autorité naturelle, un charisme doux et froid. D'un geste machinal, elle ramène derrière son oreille une mèche folle qui s'est échappée de son chignon. Elle porte rarement son opulente chevelure brune détachée, car elle n'aime pas la sentir onduler librement jusqu'au milieu de son dos. Elle préfère la garder sous contrôle.


— Quelles sont vos impressions sur ce début de texte ?


Les élèves hésitent. Certains fixent leur livre en fronçant les sourcils, d'autres la regardent pour qu'elle les interroge. Quelques mains timides commencent à se lever, tandis qu'elle attend avec patience que tout le monde ait réfléchi.


— Oui ? Axel ?

— Marie de France va nous raconter l'histoire d'un loup-garou.

— En effet, répond-elle d'un ton neutre. Mais qu'apprenons-nous d'autre ? Quelles sont les attentes des lecteurs ?


Une jeune fille blonde, assez sûre d'elle, prend la parole :


— On s'attend à un récit sanglant. Elle utilise les expressions « bête sauvage », « rage », « dévore », « mal »... Elle va nous raconter une histoire cruelle et violente. Il y aura peut-être des massacres, du cannibalisme...

Le Lac du Lou (dispo en livre numérique - Stories by Fyctia)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant