Chapitre 0

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Hyebaek est un petit village situé au milieu des montagnes et des interminables forêts de pins, méconnu de tous médias et absent de la culture populaire, il représente ainsi un point infime de petites maisons peintes au milieu d'un immense tableau verdâtre. L'endroit rappelle le genre de lieu dont les vieilles légendes sont faites, et là où elles subsistent. C'était un cocon isolé du monde extérieur et par extension, d'une certaine notion du présent. Le village compte parmi 3000 habitants, des champs de blé vides et à perte de vue, ainsi qu'une minuscule école accueillant le peu d'élèves qui composaient la jeune génération. Ici, tout le monde connaît tout le monde et aucun visage n'est inconnu.

Sang Su-Jin est une adolescente dont la maison avoisine la rivière. Elle possède des yeux verts clairs, dont la nuance est similaire aux aiguilles de pins tombés au sol, ou alors aux feuilles sur lesquelles reposent les nénufars fanés de la rivière. D'une façon ou d'une autre, cette couleur, si inhabituelle et symétrique aux paysages de ce lieu, avait le malheur d'apporter du chagrin chez quiconque osait en admirer l'harmonie. Un sentiment presque proche du bonheur, une tristesse euphorique, la nostalgie d'une vie lointaine qu'on eut laissé échapper. Ainsi, on détournait les yeux.

La jeune fille eut adopté l'habitude de passer ses après-midis de libres au sein du club de littérature, dont elle était la présidente, ainsi que la seule membre. Elle n'avait autre chose à faire que de lire et d'attendre la tombée du crépuscule pour rentrer chez elle et dîner. La salle du club était placée au troisième étage du département lycéens. Elle était composée d'une table, d'une chaise et d'une bibliothèque. La porte coulissante grinçait et les fenêtres fragiles laissaient entrer les courants d'airs. Pourtant Sang Su-Jin se plaisait à profiter de sa petite pièce, de sa petite routine et de sa petite solitude.

Elle se demandait parfois, comment se finirait sa vie, si elle serait toujours aussi seule et si elle vivrait toujours dans la maison près de la rivière. Sûrement, se disait-elle à chaque fois, car la probabilité de cette fin était intégrale, autant que la probabilité que quelqu'un n'ouvre subitement la porte de la pièce était nulle. Suite à cette pensée, elle tourna la page de son livre de poésie, tout en contradiction avec ses yeux qui eux, se plongèrent avec lenteur dans la masse noire d'un regard inconnu.

Il était là.

Il avait ouvert la porte,

se tenait immobile devant elle,

et n'eut pas

détourné les yeux.

Le garçon dit s'appeler Ahn Iseul et possède une odeur de lessive industrielle qu'on ne vend pas à Hyebaek, il est assez grand pour son âge, et les cheveux sombres sur le haut de son crâne effleurent le cadre de la porte. Il sourit très facilement et sa voix n'est pas argotique puisqu'il vient de la capitale.

- C'est bien ici le club de littérature ?

- Oui

- Je viens de m'installer dans cette ville.

Elle ferme son livre, sans le quitter des yeux, comme s'il était une sorte de voyageur inter-temporel, venant d'une autre dimension. Elle n'en a pas l'intention, mais la curiosité, irrévocablement a envahi chaque trait de son visage.

-Comme la rosée du matin?

Une étrange émotion parcourt la voix de Sang Su-Jin.

- Pardon ?

-Ton prénom, la signification ... comme la rosée ?

Subitement, le jeune homme semble interpréter la question, et dans une pincée de fierté, il sourit.

-Oui, Il marque une pause, détourne les yeux, comme pour réfléchir, avant de la regarder à nouveau

C'est plus porté par les filles mais je le préfère sur moi.

Il rit ainsi d'une façon simple à sa réplique.

C'est logique, pense-t-elle, c'est un peu idiot. Elle ne répond pas, elle ne bouge pas et ils ne cessent donc de s'observer, sans émotion. Une paire d'yeux verts et une paire d'yeux noirs. Ils ne dirent rien. Ce n'était pas comme dans les livres. Ce ne fut pas comme si tout avait disparu autour d'eux, plutôt le contraire, ce fut comme si chaque petit détail à présent, existait d'une manière plus forte qu'eux mêmes et vivait dans la continuation de leur durée de vie minuscule. Les détails de l'instant prirent vie, plus que cela encore, l'atmosphère vibrait d'un son grave et indiscernable, elle s'exprimait d'elle même dans le contraste de leurs regards. Iseul avait amené une part du Présent avec lui, en venant dans ce village qui en était privé. Le temps s'arrêta et les deux adolescents savaient peut être au fond, dans le contact de leurs iris, que le monde existerait toujours, durerait infiniment, et ils n'étaient que minimes face à cela. Pendant une fraction de seconde, le village semblait avoir parlé à travers leurs yeux. En se regardant de cette manière, en existant au même moment, ils se sentaient un peu disparaître, le sentiment était spécial, et pour la première fois, Sang Su-Jin avait probablement découvert ce que l'on ressentait lorsqu'on la fixait dans les yeux, à travers la reflection de ceux du garçon, l'irréalité de tout, et le questionnement d'une vie lointaine qu'elle obtiendrait avec lui, si seulement elle partait de cet endroit.

Une urgente et violente envie de s'enfuir prit place dans son corps. Une eau calme soudainement troublée par une tempête, un tourbillon.

Tandis que le silence gris tombe progressivement entre la présence physique des deux individus, le bruit des criquets, habituellement secondaire semble envahir avec stridence l'espace de la pièce.

Quelque chose leur chuchotait, que rien n'était à sa place.

Surtout pas à Hyebaek.

VillageWhere stories live. Discover now