Chapitre 3

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La mélodie sinistre du croassement d'un corbeau se fit entendre dans l'air. On aurait pu promettre qu'un orage se préparait, mais le ciel n'était guère un fiable annonciateur de vérité.

À la vue dérangeante du garçon ensanglanté et aux yeux vagues, Su-Jin était partagée entre l'idée de s'enfuir en courant, en laissant son vélo à terre ou bien monter sur son véhicule en manquant de tomber faute de sa roue crevée.

Elle sursauta en entendant le rire inattendu du jeune homme. La situation actuelle était loin d'être quelque chose de normal ou d'ordinaire, et elle n'eut nullement besoin de son instinct pour déclarer ce fait. Il était debout, immobile pendant des secondes entières qui semblaient extrêmement longues, il avait le regard rivé sur ses jambes, ou bien sur le sol, ou quoi que ce soit qu'elle n'eut pas vu, bien qu'il n'y avait rien, et son nez était dégoulinant de sang. À vrai dire, ce garçon se présentait à la limite du misérable.

Sans bien réfléchir longtemps, Su-Jin se souvint avoir gardé un mouchoir de la cantine dans la poche de sa jupe puisqu'elle n'aimait guère jeter des choses inutilement. Sa main glissa alors doucement dans le textile cotonneux de son vêtement, et elle s'approcha du garçon. Pourquoi avait-il rit stupidement en la voyant ? Elle fronça les sourcils. Elle n'en savait rien, Su-Jin se décida de lui tendre son mouchoir, puis, agacée par le manque flagrant de réaction de son interlocuteur, elle appuya de son plein gré le bout de tissu sur le nez d'Iseul, avant de placer la main du jeune homme sur la fabrique afin qu'elle tienne correctement en place, dans le but de stopper le saignement. Pour couronner le tout, le bout de ses doigts maintenant étaient tachés de sang. Elle baissa sa garde, et avait soupiré en le fixant, il l'observait toujours, silencieusement, comme après avoir vu une sorte de fantôme.

« Voyons qu'est-ce qui t'arrives ? Qu'est-ce qui t'es arrivé ? »

Elle était inquiète. Tout comme pourrait l'être n'importe qui d'autre.

« Allo ? Tu m'entends ? Ahn Iseul, c'est ça ? »

Il cilla encore quelques fois, revenu par magie de son monde chimérique. Ses yeux se portèrent sur ses pieds qu'il avait fixé, il n'y avait rien, il ne se souvint pas, devait il y avoir quelque chose ?

« Oui, »

Il posa ses iris sur la jeune femme. D'une curieuse façon, les traits de son visage à lui, exprimèrent de la joie, l'expression d'un enfant rassuré, le visage plein de sang.

« je.. Je suis.. Iseul »

Sa voix s'éteignit lors de la dernière partie de sa phrase, d'une façon qui signifiait qu'il ne trouvait rien d'autre à répondre face à Su-Jin, dont il connaissait le nom uniquement par des bruits de couloirs. Le vent était passé comme un cheval au galop, et les cheveux de Su-Jin étaient en bataille autour de ses joues, sa bouche entrouverte de curiosité, légèrement éssoufflée

Il humecta ses lèvres pour s'exprimer, mais ne trouvait seulement que le goût de son hémorragie pour inspirer ses mots.

À cette heure du soir, seule une petite supérette était ouverte et Su-Jin se promit de ne jamais plus y retourner avec lui, tant il lui était étrange, tant il lui était bizarre. Ils insérèrent leurs pièces dans le distributeur automatique et burent silencieusement leurs boissons, debout, les yeux vers les maisons en bois, quelques centaines de mètres plus loin. Iseul avait appris dans quelques vieux livres que les habitants du village eurent construit ces maisons avec les arbres de l'immense forêt aux alentours, pendant plus d'un siècle, étonnant, sûrement. Il se racla la gorge. Le parfum feint des vêtements d'Iseul flottait dans l'air, une odeur de prunes.

« Désolé, euh, pour toute à l'heure »

Su-Jin l'observait du coin de l'oeil, grâce à son champ de vision périphérique, lui, avait cette habitude agaçante de la regarder avec insistance lorsqu'il lui parlait. Elle répondit alors à l'aide d'un hochement de tête, sans répondre à son regard.

« Et désolé aussi pour.. les autres fois. »

Elle songea : Tu fais bien de t'excuser. Mais demeura silencieuse.

Ils ne le dirent pas, mais se sentaient observés, non pas par le gérant de la supérette qui lisait son journal à l'intérieur, mais par quelque chose d'invisible, peut-être étaient ils observés par les hautes herbes, les fleurs, et les insectes pendant leur marche au retour, mais l'univers avait l'air de leur chuchoter tout doucement, d'un ton macabre, qu'ils feraient mieux de rester loin de l'autre, mais que de toute manière, tout était trop tard, car à présent, ils ne supporteraient plus d'être séparés. "Pauvres de vous, pauvre de vous."

La nuit tombait doucement, l'atmosphère était aussi douce qu'un rêve duveteux, et leurs paupières étaient lourdes. Ils arrivèrent à la limite entre la route bétonnée et les champs, qu'ils devaient traverser, et entendirent indistinctement un sifflement animal.

C'était inattendu, mais ils n'eurent pas pris peur.

Leur expression machinalement neutre lors de la découverte des deux serpents était pittoresque.

Le vent soufflait dans leurs cheveux, tandis qu'ils observaient, comme deux enfants ahuris face à un écran de télévision, les deux serpents entrelacés, dans une violence brute. Ils se battaient à la mort, lentement, cela faisait presque peur tant l'acte était calme, l'un parut comme vouloir écraser l'autre, l'étouffer. S'offrit alors un spectacle devant les deux adolescents, un combat féroce.

Su-Jin éleva sa voix en ayant aperçu l'expression d'Iseul.

« Ils se reproduisent.

- Allons nous-en. »

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