Chapitre 4

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Il était plus de neuf heures du soir lorsque Su-Jin eut atteint le seuil de sa maison. Elle laissa son vélo tomber prestement sur l'herbe du jardin, vélo qui produisit une réponse dans un bruit métallique et étouffé. Les lieux furent vides de monde, et sur la table se trouvaient les mets du matin, protégés par du cellophane. Son père n'était pas là, sûrement se trouvait-il dans son atelier de poterie près de la rivière, comme toujours.

Su-Jin n'eut pas faim, même après la longue marche jusqu'à chez elle qui avait fait suite au détour de la supérette. Elle l'ignorait évidemment, mais la confusion s'éteint peinte sur les traits de son visage depuis le chemin du retour de l'escapade. Elle pensait à Iseul, et plus précisément, au fait qu'il ne fallait plus penser à Iseul. La nuit était noire, et la route était éclairée par de vieux réverbères dysfonctionnels, de façon à ce que les papillons de nuit s'agglutinent sous les lampes comme des gouttes de pluie sur le verre des fenêtres. Elle n'avait envie de rien, ni de lire, ni de dormir. Ses yeux fatigués admiraient la rue, et elle trouvait alors que les papillons de nuit étaient beaux, mais se remémora que selon les légendes folkloriques de Hyebaek, ces insectes étaient conventionnellement remplis de mauvaises intentions. À quelques mètres plus loin, de la fumée vaporeuse s'échappait de l'atelier de son père, et plus clairement de son four à céramiques, opaque fumée grise qui s'élançait jusqu'à très haut dans le ciel. Un souvenir d'enfance prit place dans les pensées de Su-Jin, elle songea au temps lointain où elle pensait fermement que son père était un fabricant de nuages, qu'il passait ses heures et ses nuits enfermé dans son atelier, à créer et sculpter des cumulus qui finiraient par s'évaporer dans le ciel. Cette pensée manqua de lui arracher un sourire, mais son trop peu de sommeil ne lui provoqua néanmoins que de fermer les yeux.

Le rythme respiratoire de Su-Jin était immensément calme et perpétuel, mais elle remarqua que son coeur était à soubresaut, qu'il battait la chamade, comme de petites bourrasques dans sa cage thoracique, il était presque dur alors de respirer, elle replaça la mèche de ses cheveux en place avant de procéder par tenir son visage en coupe, dans le but de regarder les étoiles durant un temps qui finit par devenir une complaisante partie de la nuit, car après tout, elle ne souhaitait pas dormir, pas suite à tout ce qui s'était produit. Peut être se réveillerait-elle demain d'un très long rêve.

Le matin commença avec des yeux fermés, et un sentiment intuitif qui chuchotait de les laisser ainsi, fermés et impénétrables.

Car si ces yeux venaient à s'ouvrir ne serait-ce que le temps d'une petite seconde, si ceux-ci venaient à voir leurs jumeaux, si ils venaient à la voir, elle, ils seraient aspirés comme lorsque les trous noirs dévorent la lumière dans leurs masse de néant.

Ce fut un rêve étrange, Iseul ouvrit doucement la porte de ses paupières, et manqua de noter que les rayons du soleil n'étaient plus tant affligeant que les matins précédents. Il dégagea les rideaux qui protégeaient la lumière de sa fenêtre, et observait alors les arbres, qui entouraient comme un océan vert, le haut de la montagne qui surplombait le village.

C'était une fin de semaine. Les oiseaux ne chantaient guère, seul se trouvait le bruit constant des criquets.

Il était rentré trop tard hier, et le coup de fil de sa mère n'eut guère fait outre de son absence. Il se rattraperait ce soir, il était vrai qu'elle lui manquait, et que sa solitude était flagrante.

Son avis changea pourtant le temps d'un instant, il l'appelerait maintenant. Il descendit les escaliers qui menaient aux portes de la cuisine, et s'apprêta à composer le numéro de sa mère qu'il avait inscrit sur un post-it jaune fluo collé au mur près du frigo.

Son regard s'ecarquilla lorsqu'il se rendit compte que la ligne était vide, et son oreille, qui n'était pas trompeuse, ne put entendre que le son d'un bip permanent. Il raccrocha aussitôt, cela n'était sûrement qu'un incident mineur, et dans le cas contraire, il ne manquait pas de personnes pour l'aider dans le village.

Iseul se prépara rapidement pour son voyage en vélo, il avait prévu de suivre la seule route qui menait au sommet de la montagne, et qui le guiderait dans le village avoisinnant, village avec un nom qu'il eut oublié et n'en avait entendu parler que trop peu, mais aujourd'hui néanmoins, il était prêt: il se sentait de nature aventurière, ou plutôt, il n'était plus disposé à agir encore une fois comme si de rien n'était, il allait partir, du moins, trouver un chemin, s'il y en avait un, hors de Hyebaek.

Quelqu'un frappa à la porte.

C'était un homme d'une soixantaine d'année, qui procéda à l'ouverture de la porte en dévisageant Iseul de haut en bas.

« Je me disais bien que quelqu'un s'était malencontreusement installé ici... Qu'est-ce que tu fais là jeune homme ? Tu n'es pas du coin... »

Son regard était suspicieux et sa voix tremblait due à son âge. Le froid tomba rapidement dans l'air entre l'espace de chaque mot qu'il prononçait.

« Je, je viens d'emménager avec ma mère il y a un an de cela, nous avons racheté cette maison.

- Garnement ! Comment oses-tu mentir à ton aîné ! Cette maison a toujours été abandonnée ! Je ne suis pas né de la dernière pluie ! Elle était encore vide hier !»

Iseul haussa les sourcils.

« Je vous assure monsieur, je suis Ahn Iseul, Ahn, c'est écrit sur la plaqu- »

Iseul aurait juré que cela était le cas, mais ce qu'il pointa du doigt sur la porte n'était qu'une vieille plaque vierge en laiton rouillé. Il reporta son intention sur le vieil homme, qui plissa les yeux et marmonna des mots de contestation pour lui même, il se retourna et décida de s'en aller.

« Je ne t'ai jamais vu ici, personne ne t'as jamais vu ici, tu ferais mieux de rentrer chez toi ! »

Le jeune garçon se sentait tout étrange, comme si la situation était devenue irréelle, il observait l'homme s'éloigner, avant de refermer la porte, il reposa son dos contre celle-ci, tout en écoutant le son de l'horloge murale. Tic, toc, tic, toc...

Sa vision se troublait, et une certaine tristesse l'eut envahi. Ses mains trouvèrent naturellement le chemin contre ses yeux lorsqu'il se rendit compte être en train de pleurer.

Il n'avait pourtant pas pleuré en apprenant le suicide d'Ae Sook.

Il n'avait pas pleuré en apprenant pour sa... mère ?

Quelque chose résonna dans son dos.

Toc, toc, toc.

Une voix hésitante.

« Iseul, tu es là ? C'est moi, Sang Su-Jin ! »

Toc, toc...toc

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