Tempête

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Après ça, je continue à marcher. Je me dirige vers le planning familial.

Il y a une femme, là-bas.
Elle me pose pleins de questions mais j'aime pas ça, alors, je les élude d'un geste de tête.

Je fixe ses lèvres qui bougent comme au ralenti. Elle doit croire que je veux l'embrasser, parce que si quelqu'un fixe vos lèvres, c'est souvent parce qu'il rêve de les toucher avec les siennes. Mais ce n'est pas le cas. Je suis captivée par son rouge à lèvre.

Tout me semble terne, gris, pollué, sale, depuis ce matin. C'est comme si les couleurs avaient décidé de s'altérer.
De mourir lentement. 
Mais il y a ce rouge à lèvre, rouge pétant, sur ses lèvres, qui semble de briller de mille feux.

Elle a un rouge à lèvre carmin, le genre de rouge à lèvre que je porte quand il y a une fête. Je me dit que peut-être que pour elle, aujourd'hui, c'est un jour important.
Puis, la pensée m'effleure que pour moi aussi, c'est un jour important.

Mais pour moi, ce n'est pas le genre de jour important où je me peins les lèvres à la manière des Geishas.

C'est le genre de jour où je m'habille de gris, pour être en harmonie avec l'état de ma vie.

C'est le genre de jour je on ne met pas de mascara pour qu'il ne laisse pas de traces noirs sur mes joues, où je tente en vain de plisser les yeux pour voir au de là des nuages gris et pluvieux.

La femme au lèvres vermeilles parle.

Comme je ne répond pas, elle parle. Je capte vaguement quelques mots. Avortement. Choix. Droit.

Je hoche régulièrement la tête.
En rythme.

Je m'en fous, mais d'une force, de ce qu'elle me dit.

Tout ce que je veux s'était en avoir fini.

Fini avec ce bébé qui me rappelle avec force que j'ai trompé Dana, la seule personne que j'aime vraiment, fini avec ce bébé qui me rappelle ma mère, fini avec ce bébé, cette forme de vie insupportable qui me rend malade, qui me brise à l'intérieur, plus que je ne le suis déjà.
Je veux en finir avec cette histoire avec Fly qui avait dérangé toute ma vie petite vie, certes pas tranquille mais bien orchestré.

Je veux en finir avant que tout m'explose à la figure, avant que Dana me haïsse, avant que je sois coincée avec un bébé que je n'aime pas, que je désirais pas, avant que Fly revienne me poser des questions, avant que Chacha soit déçue de moi, avant que Riad se moque de moi, avant que je perde trop contrôle de ma vie.

La femme me sourit gentiment, je crois.

- Vous êtes sûre de votre choix, donc ?

Mon choix. Je repense lentement à Joniah. Peut être que, ouais, on croit qu'on l'a, le choix. Mais à ce moment-là, j'ai pas l'impression.

L'illusion du choix : c'est exactement ça, ma vie, c'est ça, notre vie, notre vie à tous, pauvres pions d'une machine bien réglée. Ne demeure que l'illusion d'avoir décidé de quelque chose.

- Oui, sinon, je ne serais pas là, réplique-je sèchement.

Elle hoche la tête. Je crois qu'elle est à peine surprise, au fond, elle est sûrement lasse.
Je dois être la millième qu'elle voit, à qui elle fait faire les démarches.
Je dois être la millième qui la toise d'un regard noir, qui semble à peine l'écouter, qui est avachie sur sa chaise.
La millième.
Une parmi tant d'autres.

– Il vous faut remplir ces documents, me dit-elle en me tendant une liasse de papiers.

Alors, je remplis ses documents débiles, j'écoute attentivement ses explications débiles et je rentre chez moi.

Sous extasyWhere stories live. Discover now