déluge

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Quelqu'un a dit que nos téléphones n'étaient que là pour nous rappeler à quel point on était seuls. Ou quelque chose comme ça. Je ne sais plus.

Mais, assise dans la salle d'attente, je trouve ça particulièrement vrai.

Mon téléphone est posé sur mes genoux. Je ne le touche pas et d'ailleurs, rien ne me touche plus. J'attend un message.

Mes yeux, gonflés par une nuit blanche suivent avec difficulté les lignes du magasine. Je lis un article sur les nouvelles tendances.Quelle connerie que les tendances. Suivre les autres à l'infini, quelle perspective déprimante.

Une femme s'assied à côté de moi.

Je ne la vois pas. Je ne vois plus.

Une dame appelle mon nom.

Je me lève et me dirige dans la salle d'attente.

Des gens me parlent, je les entend pas. Je hausse vaguement la tête.D'accord, d'accord, d'accord. Je ne veux pas de ce bébé, enlevez le moi, je ne peux pas être mère, je n'ai même pas eu de mère, je ne sais même pas vraiment ce que c'est.

Si cet enfant naît, je l'abandonnerai, je partirai, je ne peux pas, enlevez le moi. Il sera malheureux, seul et abandonné.

En fait, ce n'est pas ça la vie. Ce n'est pas un amoncellement de tristesse, de solitude et d'abandon. Je ne peux pas donner la vie car tout est mort en moi.

Cet enfant est l'image de tout ce que je déteste chez moi, ma capacité à trahir les seuls qui m'aiment, mon vide intérieur. C'est drôle, ça, il est en moi et pourtant, je me sens toujours aussi vide.

Laissez le dans les étoiles. C'est mon choix, mon choix à moi, je le fais en âme et conscience.

Je ne peux pas être mère. C'est un choix et pas un choix. C'est comme ça.

Je ne sais pas pourquoi.

J'ai un peu peur. Je déteste les médecins, les trucs médicaux et tout ça. Il y a des gens en blouse, ils me guident dans une salle. Je respire fort. J'ai peur, je ne sais pas de quoi.

Alors, pour me changer les idées, j'écris une lettre que je n'enverrai jamais. Les mots dansent dans ma tête et je lui parle, à Dana.

Ma Dana, mon amour,

Je pourrais te dire tout les mots du monde, mais je ne sais pas lesquels choisir. Je ne me supporte pas. Je me déteste.

Tu avais comme toujours raison, Dana, je mens tout le temps. Pourtant, je n'ai jamais su te mentir à toi. Dès le début, c'était différent avec toi. Parce que tu étais différente.

Avant de te rencontrer, je voyais le monde en noir et blanc. J'étais enfermée dans un film muet. Et puis, tu es arrivée rouge comme le sang, rouge vif, rouge comme les pommes d'amour, en faisant du bruit, en fanfare.

Tu as boulversé ma vie, avec tes sourires, tes regards, tes cheveux en bataille, ton rire.

Maisil faut que tu comprennes, Dana, ce vide en moi.

Mon monde est noir et blanc et la plupart du temps, il est gris comme l'ennui. Parce que je m'ennuie, Dana. Je m'ennuie à en crever.Je n'ai pas d'intérêt pour grand chose.

Il y a toi, la plupart du temps. Il y a Riad, Rayane et Chacha. Il y aJuan. Ce n'est pas que je vous aime pas suffisamment. Je sais que vous êtes là. Je vous vois, aussi incroyables et extraordinaires que vous êtes. Je vous vois. Vous êtes là, comme des petites lumières, des lueurs, parmi cette masse informe grise. Et parfois, le voile gris prend le pas sur vos présence. Je sais que vous êtes là, mais je ne vous sens plus.

Et comme un nageur qui se noie, je cherche un moyen de respirer, de me dégager de cette masse grise qui m'étouffe, qui m'aspire vers le fond.

Alors je suis en perpétuel mouvement, j'agis pour ne pas penser. Je sors tout les soirs ou presque, je travaille comme une dingue pour l'école, je cours partout.

Et cet été, soudain, tout s'est arrêté. Je n'avais plus rien à faire, plus rien pour remplir mon temps, mes pensées, ma vie.Je me suis retrouvée confrontée à ce vide inexorbable.

Et Fly. Je lui ai succombé autant que j'ai succombé à mon désir de changer la situation. Avec lui, c'était différent.

Il rallumait la lumière, là où tu l'avais laissée éteinte. Il était l'action dont j'avais besoin, il était en mouvement. Il était mon mouvement.

J'étais perdue, alors je t'ai perdue.

Jene savais plus ce que je faisais. Je ne savais plus qui j'étais.

Je ne sais plus qui je suis.

Et tu me manques, tu me manques à en crever, alors que je vois tout ces médecins s'affairer autours de moi, alors que le blanc des murs m'éblouit, alors que je respire dans ce tuyau sensé m'endormir, je me demande en fait, depuis combien de temps je dois déjà, je me dit que seule ta présence saurait...


Quand je sors de la clinique, il pleut. J'ai tellement parlé à Dana dans ma tête, je suis crevée.Je rentre chez moi. Je me couche dans mon lit.

Et je fais la morte.


Entretien numéro sept :

– Et voilà...

– Comment vous sentiez vous ?

– Lasse. Malheureuse.Eteinte...Coupable. Je réalisais que j'avais perdue la personne quej'aimais le plus au monde. J'étais dans une impasse. Je m'étaisdébarrassée d'une partie du problème. Mais je ne savais pascomment m'en sortir autrement.

Le psy prend quelques notes.

– Vous avez lu L'usage dumonde ? me demande-t-il après quelques secondes deréflexions. De Nicolas Bouvier.

– Non.

– C'est un auteur suisse qui abeaucoup voyagé, notamment en Iran ou en Azerbaïdjan..Je crois merappeler d'un passage où Nicolas et son compagnon sont coincés àcause de la neige dans une ville, lors d'un hiver particulièrementrude... Et alors qu'il est dans l'impossibilité de bouger, qu'ilest sans le sou dans une ville inconnue dont il ne comprend même pasla langue, il va avoir ces mots très justes « (C'estpeut-être maintenant que le véritable voyage commence) ».

Je le fixe. Il n'a jamais faitune aussi longue phrase et je me demande s'il réfléchit à cettetirade depuis le début de la séance. Voire le début de toutes lesséances.

– Quevoulez-vous dire ? demande-je hésitante.

– D'après vous ?

Jesouffle.

– Vous êtes ingérable,m'amuse-je, en secouant la tête. Vous êtes encore plus mystérieuxqu'un horoscope.

Etses yeux brillent de malice.

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⏰ Last updated: Jun 29, 2018 ⏰

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Sous extasyWhere stories live. Discover now