3/ PAPA

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Papa,

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Papa,

  C'est ton fils qui t'parle. Ça faisait longtemps j'ai l'impression. C'est vrai ça, t'es pas souvent là, ou p't'être juste moi qui ai arrêté de venir. Sache juste une chose 'pa, t'as été mon modèle pendant vingt-quatre ans. T'étais peut-être pas le meilleur, mais t'étais mon papa, alors pour moi qui n'en avait qu'un (comme tout le monde mais je suis unique alors... [une blague encore, décidément.] t'étais comme le ciel, mon ciel à moi tout seul. 

  Je vais essayer un truc, me rappeler en détail mon premier souvenir avec toi, mon meilleur, mon pire et mon dernier, et si ça m'plaît je continuerai.  

  Mon premier souvenir avec toi remonte à mes cinq ans, ce qui est tardif, mais j'ai jamais été précoce alors ne vois pas ça comme une offense. Rose avait trois ans et on était dans le jardin, ma charmante et adorable petite soeur à mes côtés sur le gazon et toi derrière le barbecue. Tu étais l'exemple typique du père de famille parfait, pur américain. La p'tite brune assise près de moi gazouillait un air horrible et refusait de se taire, un espèce de doudou super laid dans les mains, elle te dévorait des yeux et n'en avait strictement rien à faire de ma pomme. Elle te regardait avec tant d'amour qu'on aurait dit qu'elle te chantait une sérénade. J'étais hyper jaloux, parce que quand tu as relevé les yeux, tu les as directement posés sur elle, la nouvelle, l'intruse, tandis que je faisais tout pour attirer ton attention avec mes petites voitures. Ton regard s'était ensuite posé sur moi et tu avais ce sourire sur le visage. Tes yeux brillaient. C'est je pense mon premier souvenir de toi parce qu'il m'a marqué : je n'avais jamais vu autant d'amour dans les yeux de quelqu'un, et chaque fois que j'y repense, je me sens confiant, voir même prétentieux, j'ai l'impression d'être la neuvième merveille du monde. Faudrait que je demande à Rose si elle s'en rappelle.

 Mon pire souvenir avec toi est sans aucun doute le jour où j'ai compris quel métier tu faisais réellement, puisque c'est le jour où tu es parti. Parce que papa, tu es un héro, un héro américain, tu sauves des vies tous les jours. Seulement, moi j'avais pas envie que tu sois un héro, parce que je ne voulais te partager avec personne. La première fois que tu es parti suffisamment longtemps pour que je le remarque et que tu me manques, je devais avoir dix ou onze ans, je rentrai au collège. La veille de ce terrible jour, des hommes étaient venus sonner à la porte, ils portaient un uniforme et tu les as salué, le salut militaire. Tu étais rappelé en mission, parce que c'était ça ton métier, tu sauvais les gens, sur d'autres continents. Maman pleurait et Rose et moi ne comprenions pas. Tu es monté dans ta chambre et nous sommes restés en bas, maman dans nos bras. Plus tard, dans nos lits, tu es venu nous voir tour à tour, Rose puis moi. J'avais cette boule au ventre qui ne s'explique pas, une peur d'enfant. Tu t'es assis près de moi et c'était la première fois que je te voyais pleurer parce que tu m'as toujours dit qu'"un homme ne pleure pas". J'ai vite percuté que quelque chose n'allait pas. Tu m'as serré dans tes bras et tu m'as dit pleins de choses cette nuit là. Puis, tu m'as couché, fait un bisou sur le front et tu es reparti. Cette nuit là, j'ai entendu les pleurs de maman. Le lendemain, tu n'étais plus là. C'est la première fois que tu es parti et cela a été le plus gros déchirement que j'ai connu dans ma vie d'enfant. Mon pire souvenir est étroitement lié au meilleur. 

Tu es parti trois ans. Trois ans c'est long pour une petit garçon. Tu as manqué des trucs que les pères sont sensés voir, tu aurais dû être là le matin où je me suis réveillé avec ma première érection, ne sachant quoi en faire, et au lieu de pouvoir en parler avec un mec, je me suis retrouvé à devoir expliquer à maman ce qu'il se passait. T'imagines même pas la honte. Le meilleur souvenir que j'ai avec toi, c'est le soir du 18 novembre 2007. Maman, Rose et moi étions tous les trois dans le salon autour de mes cadeaux. Je venais d'avoir quatorze ans. La sonnerie de notre grande maison a raisonné et nous nous sommes tous les trois demandés qui pouvait bien venir nous importuner à une telle heure, surtout le jour de mon anniversaire. Maman est partie ouvrir et on a entendu un cri, puis des pleurs. On a pensé que quelqu'un lui avait fait du mal alors on a couru dans la cuisine et on s'est armés chacun d'une casserole, d'une poile et d'un couteau, notre armure enfilée, j'ai fait passer Rose devant moi (j'étais un gros trouillard) et on s'est jetés dans l'entrée en criant pour nous donner le courage d'attaquer. Et là, mon regard a percuté le tien, tes yeux brillaient. Tu étais revenu pour une nuit et tu devais repartir le lendemain. Tu n'étais revenu que pour moi et nous avions fêté mon anniversaire, nous avions parlé, nous avions passé la nuit éveillés à parler, tous les quatre, notre famille enfin réunie. Je me doute aussi de ce que maman et toi avez fait ce soir là, je n'suis plus aussi con, et je me demande d'ailleurs, est-ce que c'était dans la même pièce parce que je sais que Rose et moi avons fini par nous endormir, et vous ne vous étiez pas vu depuis trois ans. Trois ans d'abstinence j'imagine même pas la trique que tu d'vais te taper ! (my bad, oublie ce que je viens d'écrire.) 

Et voilà comment on en arrive à mon dernier souvenir, sur lequel je ne vais pas m'étendre. Au moment où je t'écris, tu es en mission. Tu es parti depuis deux mois et je ne sais pas vraiment quand est-ce que tu vas revenir. La dernière fois qu'on s'est vu, c'était un de ces dimanche en famille, j'allai rentrer chez moi, dans mon petit appart' d'étudiant et je suis venu vous dire au revoir à maman et toi. Disons seulement que maman te disait, elle aussi, au revoir, mais de façon plus personnelle. Cette image de toi, papa, me hantera jusqu'à mon dernier souffle. 

Je crois que j'en ai fini pour toi, bien sûr qu'il n'y a pas tout, mais c'est ce qui m'a marqué de toi papa. J't'aime 'pa.

Simon.


Simon.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant