Chapitre I : Le feu

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Esquelbecq, une petite bourgade du Nord de la France

Jeudi 15 janvier 2015 :

2h00 du matin

Chapitre 1 : Le feu

Situé à l'écart du village, un ancien corps de ferme rénové aux briques rouges, entouré d'arbres centenaires, est plongé dans l'obscurité. Le silence règne en maître. Seuls quelques hululements de chouette viennent perturber le calme de la nuit hivernale. Un léger brouillard flotte autour de la maison. Le toit recouvert d'une fine pellicule de neige scintille sous un pâle rayon lunaire.

L'intérieur à la décoration minimaliste est paisible. Les meubles de style ancien patinés à la chaux, posés sur un parquet sombre, donnent à l'ensemble une douce impression de chaleur. Les canapés aux pieds galbés, enveloppants et moelleux sont disposés devant une vieille cheminée dont les braises finissent de se consumer lentement au rythme des aiguilles de l'horloge fixée au-dessus de l'âtre rougeoyant. Les occupants de ce foyer idéalement conçu pour les repas de famille, les rires et la douceur de vivre, sont endormis dans l'insouciance de la nuit. Un bruit, léger, perturbe l'espace d'une seconde cette douce tranquillité. Sans doute le bois du plancher qui travaille, rien de plus. Mais l'atmosphère a changé. De légers crépitements se font échos perturbant le silence. Au bout de quelques minutes, un brouillard gris envahit la pièce. Soudain, une lumière oranger jaillit des beaux canapés duveteux. Elle se répand à une vitesse dangereuse. Bientôt remplacée par une langue de feu brûlante, elle lèche avec rage et avidité le décor devenu, en un instant, l'antre du diable. La fumée du début s'est transformée en une masse sombre, recouvrant chaque recoin de la pièce, empêchant l'oxygène de filtrer. Le système d'alarme se déclenche enfin en un hurlement strident, réveillant brutalement les habitants de la demeure, devenue une prison de flamme. Des cris de stupeur déchirent la nuit de cendre. Les parents, un couple de cultivateur, se ruent dans le couloir de l'étage suppliant les enfants de sortir de leurs chambres et de les rejoindre. L'air est devenu irrespirable. A travers la fumée qui envahit maintenant l'étage, chacun se précipite dans les escaliers, essayant de rassembler ses idées. Au rez-de-chaussée, ils constatent avec effroi qu'ils ne peuvent atteindre la porte d'entrée, les flammes consumant déjà le salon, la salle à manger et le couloir.

- Demi-tour, s'écrie le père, nous allons sortir par la porte donnant sur le jardin ! Suivez-moi !

Au même instant, ils entendent les sirènes des pompiers, redonnant espoir à la famille Vandenberghe qui tente désespérément de sortir des entrailles du monstre. Il fait une chaleur épouvantable. Les prisonniers de l'enfer s'avancent en rasant le sol afin d'essayer d'emmagasiner de l'oxygène dans les poumons. Ils rampent tant bien que mal vers le couloir opposé à la salle à manger. Celui-ci permet d'accéder à la cuisine qui mène jusqu'à la porte de derrière, leur seul espoir de survie. Au moment où le paternel essaie de se relever pour atteindre la poignée, la porte s'ouvre à grand fracas devant ses yeux exorbités. Des soldats du feu pénètrent dans la demeure ravagée par les lames brûlantes de l'enfer. Lorsque les occupants sont enfin évacués, une violente explosion se fait entendre. Les fenêtres de la demeure éclatent en mille éclats de verre, menaçant dangereusement les secouristes.

A l'abri, derrière les véhicules de secours, le chef de famille reprend le premier ses esprits. Le visage noircit par les cendres, il regarde autour de lui et contemple l'horreur, d'un air ahuri. Sa maison en feu, un rêve de toute une vie qui se consume devant ses yeux en larmes. Des larmes parce que la fumée brûlante a endommagé la cornée mais aussi, et surtout, des larmes de chagrin. Ce corps de ferme, il l'a rénové à la sueur de son front. Il se revoit couler le béton pour consolider les fondations, renforcer la charpente et les murs. Il se souvient de ses débuts difficiles. Il s'était lancé dans la culture de la betterave et du blé. L'agriculture promettait d'être un secteur porteur. Afin de respecter les quotas, il fallait produire et produire toujours plus s'il voulait s'en sortir. Puis un jour, son exploitation fit des bénéfices lui permettant de finir la construction de son foyer. Son toit, mais aussi celui de son épouse Déborah. Dévouée, elle le soutenait dans tous ses projets. Devant le foyer qui brûle, il est saisi d'une évidence. Il a eu beaucoup de chance de rencontrer Déborah. Vingt ans qu'elle partage sa vie. Alors qu'il la regarde avec tendresse, il se rappelle de leur rencontre improbable dans une salle d'attente alors qu'il se rendait chez son médecin. Celui-ci, comme à son habitude, avait beaucoup de retard et il était seul dans la salle lorsqu'elle fit son entrée. Le vent balayait ses cheveux blonds qui ondulaient sur ses épaules. Lorsqu'elle croisa son regard, un sourire intimidé se dessina sur ses lèvres pleines. Il crut même discerner un léger rougissement. Lorsqu'elle sortit un roman de son sac et qu'il tenait le même dans ses mains, cette incroyable coïncidence lui permit d'entamer la conversation. Quelques jours plus tard, ils commencèrent leur histoire d'amour. Elle lui a donné trois beaux enfants. D'abord, Marc le plus jeune qui lui ressemble trait pour trait. Il a les cheveux couleur des blés, un visage fin et racé. Il sera sans doute doué pour les arts comme sa mère. Déborah est une artiste. Sa passion, la peinture ; plus exactement, les aquarelles. Elle a déjà exposé ses œuvres et les vend parfois. Puis, il y a aussi Léo plus massif et plus trapu comme son père. Il lui donne souvent un coup de main à la ferme. Il a la terre dans le sang. Il reprendra sans doute l'exploitation quand le moment sera venu. C'est le souhait de son père. Que son fils devienne agriculteur. Cependant, même si Léo décide de suivre une autre voie, il ne s'y opposera pas.

Un pompier se dirige vers eux. Impressionnant, le visage entièrement casqué dont seuls ses yeux d'un noir envoûtant, un brin rieur, laissent entrevoir un tempérament volontaire. Jonathan ne peut s'empêcher d'admirer ces soldats du feu qui risquent leurs vies au service des autres. Le sauveteur tend à chacun un masque à oxygène et les enveloppe d'une couverture de survie. Il leur explique d'une voix rauque que ce sont les voisins de l'exploitation située plus en amont qui ont donné l'alerte. La caserne des pompiers se trouvant à une douzaine de kilomètres de leur domicile, les secouristes ont pu se rendre rapidement sur le lieu du sinistre. Un craquement lugubre se fait entendre, la maison agonise, hurlant son désespoir de se voir mourir. Le père de famille sent un frisson lui parcourir le dos.

Au même instant, Déborah essaie, malgré sa voie atone, d'hurler quelque chose. La panique est palpable. Inaudible d'abord, le quelque chose devient un prénom et ce prénom devient un Jessica. Jonathan écarquille les yeux et regarde autour de lui l'air hagard, comment a-t-il pu oublier ? Oublier sa fille ! Son épouse s'effondre dans les bras du pompier qui mesure immédiatement l'ampleur de la situation. Tout se passe alors très vite. Il dépose Déborah dans les bras de son collègue et, mû par une force invisible, se précipite vers la bouche béante du diable vomissant des flammes meurtrières. Son équipe sait qu'il a peu de chance de s'en sortir vivant et essaie de le rattraper, mais il est déjà trop tard. Le soldat du feu se jette dans le bûcher de la mort en hurlant pour se donner le courage au combat. 

La jupe écossaiseWhere stories live. Discover now