Chapitre IV La mort

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Bergues, Nord de la France.

Dimanche 18 janvier 2015 :

7h 00 au petit matin

Chapitre 4 : La mort

- Hope ? Viens ici... Viens ici.

Nouveau long sifflement aigu. Rien à faire. Cette chienne est vraiment insupportable. Elle n'a jamais su obéir.

- Hope, au pied !

Le promeneur, vêtu d'une cape kaki le recouvrant totalement et affublé d'une paire de bottes hautes à crampons, pense avec colère qu'il aurait dû mettre ce canidé au dressage dès son plus jeune âge. A six ans, il n'est plus possible d'obtenir quoi que ce soit de cet animal.

- Hope, ici...

Mais la chienne refuse obstinément de se soumettre aux ordres de son maître. Au contraire, elle aboie de plus bel, brisant le calme glacial de l'aube. En ce matin d'hiver, les remparts s'éveillent dans une ambiance spectrale. La gelée, mêlée au vent, forme de longues stalactites sur les arbres dénudés, parant ces derniers de guirlandes ciselées et scintillantes sous le faisceau lumineux de la maglite, outil indispensable du flâneur matinal en cette saison. Chaque pas sur l'herbe figée provoque un craquement lugubre et fait fuir des nuées de corbeaux poussant des croassements de colère à l'attention de celui qui a osé profaner leur territoire. Les couleurs de l'aurore parent le ciel de nuances violacées, coupant l'horizon en deux. La nuit agonisante laisse la place au jour naissant. Mais le lève-tôt aime ce paysage de désolation hivernale. Marcher au petit matin lui permet de se ressourcer, d'écouter la quiétude de la nature endormie loin de l'agitation de la ville.

Bergues est une petite cité médiévale devenue célèbre pour avoir été le lieu privilégié d'un tournage de film qui a fait des millions d'entrée au cinéma. Dany Boon a su encenser cette ville et toucher le cœur des français en glorifiant le légendaire accueil des gens du nord dans « Bienvenu chez les Chti's », même si plus d'un berguois se sent offensé. Il sait que sa commune est après tout une cité flamande et non chti. Fortifiée au fil des siècles, le célèbre Vauban sous le règne de Louis XIV dota la bourgade de magnifiques courtines, d'imposants bastions, de douves et d'impressionnantes portes par lesquelles le visiteur peut découvrir une municipalité riche en histoire. Mais pour le promeneur berguois, cette localité tranquille située au cœur des terres flamandes est avant tout sa ville avec ses quatre mille deux-cent sept âmes où tout le monde connaît la vie de chacun.

Les aboiements de sa chienne l'agacent sérieusement. Cependant, son comportement l'inquiète quelque peu. Le berger allemand, de pure lignée au poil brillant et à l'œil vif, semble apeuré. Stan, un sexagénaire à forte carrure, décide de partir à sa recherche. Après avoir parcouru une dizaine de mètres en essayant de ne pas trébucher sur le sol glacé, il trouve son chien glapissant au bord d'un point d'eau, sautant de gauche à droite devant une masse informe qu'il prend d'abord pour un simple monticule de terre. Il fait si sombre à cette heure matinale. Soudain, il ne saurait dire pourquoi, mais l'atmosphère semble plus lourde et glauque. Il ressent comme une impression de malaise. De la bile brûlante parcourt son œsophage déjà fragilisé par l'absorption régulière de bière locale, sa boisson privilégiée. Il sait qu'il n'aurait pas dû abuser hier soir, mais il ne peut s'en empêcher. Il aime à penser qu'il est un épicurien. Il adore les plats bien en sauce, particulièrement savoureux en Flandre. Malgré un taux de cholestérol au-dessus de la norme, sa femme lui avait concocté un bœuf bourguignon pour lequel il a fait bombance. Plus il s'approche de la forme couchée en travers des ronces, plus des frissons parcourent son échine lui hérissant les poils du dos. Ses mains sont devenues moites. Il ne ressentait pas la morsure du froid jusqu'à présent. Excellent randonneur, le souffle de l'hiver du nord ne l'empêche jamais de faire sa promenade matinale. Imperceptiblement, son cœur palpite plus rapidement et une buée blanche s'échappe de sa bouche de manière saccadée comme à l'approche imminente d'un danger. Tout, pourtant, paraît être tranquille autour de lui, comme à l'accoutumée. D'ailleurs, à sept heures du matin d'un dimanche d'hiver, il n'y a jamais âme qui vive dans les remparts, alors pourquoi ressentir un tel sentiment d'oppression ?

L'homme se ressaisit et décide de s'approcher lentement. Une nuée de corbeaux passe au dessus de lui en croassant bruyamment lui faisant pousser un cri de stupeur. Décidément, il se sent stupide et finit par sourire. Pourtant quelque chose sonne faux dans ce décor polaire. Dirigeant le faisceau lumineux de sa torche électrique vers la masse, son cerveau encore embrumé par les limbes de la nuit malgré ses trois tasses de café bien tassé, façonne au ralenti une image à cette forme. Elle ressemble à s'y m'éprendre à un corps... HUMAIN. L'effroi envahit instantanément l'esprit du marcheur qui hurle à travers les bois, mais personne ne peut l'entendre et il le sait. Tel un animal devenu fou, il sprinte comme il ne l'a jamais fait, suivi par un chien devenu subitement obéissant, persuadé que le cadavre le poursuit pour l'engloutir dans les eaux troubles du cours d'eau statufié par le gel.  

La jupe écossaiseWhere stories live. Discover now