Acte 2 Scène 5

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JEAN ERNESTIN, L'INFIRMIER, LE DOCTEUR LINGARD, LA PART ALTRUISTE


(La lumière du Docteur Lingard s'allume sur scène)

DOCTEUR LINGARD : Comment a t-il pu oser m'insulter et me donner des ordres...? À moi ! Je pratiquais déjà la médecine quand il portait encore des couches. J'y ai dédié ma vie entière ! Et ce petit merdeux d'étudiant ose me dire, à moi, que je ne mérites pas d'être médecin ?! Alors que lui, il n'a jamais foutu les pieds dans une salle d'opérations et il n'a jamais rien fait de ces dix doigts, à part tenir un crayon ! Là où, moi, j'ai dû tremper les miens dans des organes humains presque tous les jours ! En plus, à tous les coups, ce déchet a dû être pistonné comme un bon fils à papa ! Et bam, 2000 euros dans les fouilles pour ne rien foutre à part de la paperasse ! Ah ça, la paperasse, il sait faire ! Tenir un crayon et taper sur un clavier, ça il sait faire ! Et bah il va en avoir de la paperasse à remplir, cadeau de la maison ! Ça va lui faire les pieds. Qu'il aille se faire foutre. (boit un coup)

(La lumière bleue de Jean Ernestin s'allume sur scène)

LA PART ALTRUISTE : Pourquoi l'avoir rembarré comme ça...?

JEAN ERNESTIN : Parce que ce n'est pas d'encouragements dont j'ai besoin, mais de rentrer chez moi.

LA PART ALTRUISTE : ...Écoute. Ces paroles auraient du être un réconfort pour toi. Je veux dire...tu as la confirmation que ta musique à une utilité, que tu as un rôle dans la société. Tu as trouvé ta place dans ce monde.

JEAN ERNESTIN : Au contraire, car je ne veux pas que ma vie se résume à "jouer un rôle dans la société". Une vie, c'est personnel. La donner aux autres par charité revient à la gâcher pour que leur vie à eux prospère...Franchement, ne trouves tu pas ça...injuste de consacrer sa vie à l'autre quand lui la garde bien pour soi ? Et puis, l'aide que j'ai apporté à ces personnes, me la t-on déjà rendue ? Qui est là pour me soutenir, moi, dans les moments difficiles ?! ...Je suis en train de parler à ma propre tête !

(La Part Altruiste ne répond pas.)

(La lumière du Docteur Lingard s'allume sur scène)

DOCTEUR LINGARD (d'une voix brisée) : J'ai vu des choses...horribles...des corps mutilés, des organes broyés, des os brisés...mais j'ai toujours réussi à tout réparer...Avec moi personne...tous ces infortunés maltraités par la vie...j'ai toujours réussi à les sauver...Mais maintenant...tous tombent autour de moi sans que je fasse rien...sans que je ne puisse rien faire...Tous laissent derrière eux des proches, des amis, de la famille...(d'une voix de plus en plus forte) Comment pourrais je leur dire...? Comment pourrais je expier mes crimes...? Comment pourrais me regarder de nouveau dans la glace après ça...?!

(Sanglots du Docteur Lingard, qui jette sa bouteille et prend son visage entre ses mains)

(La lumière bleue de Jean Ernestin s'allume sur scène. La Part Altruiste se penche alors vers lui.)

LA PART ALTRUISTE : Mais, tu sais...Chanter, ce n'est pas sacrifier ta vie pour l'autre. Lorsque tu chantes, tu communiques des émotions, du bonheur à tes spectateurs...

JEAN ERNESTIN : Tu ne comprends pas. Je suis loin de tous ces artistes qui font de la musique par passion. Je préfère de loin l'ombre des loges aux lumières de la scène...Elle me fait paniquer, je ne peux pas me tenir face à tous ces gens sans me sentir comme...un intrus. Un type qui se tient là où il n'a rien à faire. En fait, je n'ai jamais aspiré à une vie de collectivité...mais depuis l'enfance on me rabâche qu'il faut être poli pour contenter l'autre; qu'il faut sourire pour faire plaisir à l'autre; qu'il faut mentir parfois pour ne pas offusquer l'autre. Et aussi, qu'il est important de faire des études pour avoir plus tard un métier afin de servir, encore et toujours servir...Bref...qu'il faut s'oublier en faveur de l'autre. Je ne me suis pas lancé dans la chanson par passion...mais parce que c'était le seul talent que j'avais et qu'il fallait que je me rende utile. Depuis, je ne vis plus. J'existe seulement. Au final, la collectivité n'est rien d'autre qu'un gouffre, qu'une géante déchetterie où l'individu s'embourbe, heure après heure et jour après jour...

LA PART ALTRUISTE : ...Ce n'est pas le fait de vivre pour les autres qui est le problème, mais la manière dont tu considères la chose. Tu vois ça comme une contrainte, une obligation, mais, tu sais...voir des gens sourire, entendre des remerciements chaleureux et savoir au plus profond de toi que tu as rendu heureux quelqu'un, ça peut te procurer beaucoup de bonheur.

JEAN ERNESTIN : Je...je ne sais pas.

L'INFIRMIER (criant) : J'ai les résultats ! (Jean Ernestin se tourne vers lui, L'Infirmier lui prend la main et la secoue). Jean Ernestin, vous êtes génial ! Gé-nial ! C'est un miracle ! (se tourne vers le Docteur Lingard) Docteur ! (L'Infirmier traverse la scène. La lumière redevient normale.) Docteur, ressaisissez vous !

DOCTEUR LINGARD : Laissez moi, s'il vous plait...

L'INFIRMIER : Écoutez, c'est un miracle ! Je viens d'analyser le sang de l'un des rescapés de l'événement ! Et il est O négatif !

(Légère pause. Le Docteur Lingard se redresse)

DOCTEUR LINGARD : Quoi...? Mais alors ça veut dire que...

L'INFIRMIER : On peut réapprovisionner les réserves de sang et en distribuer à tous les blessés !

DOCTEUR LINGARD : Où est t-il ?!

L'INFIRMIER : Juste là ! (pointe du doigt Jean Ernestin)

(Le Docteur Lingard se relève d'un bond et se dirige vers Jean Ernestin.)

DOCTEUR LINGARD : Comment est ce que vous vous appelez ?

JEAN ERNESTIN : Euh...Jean Ernestin...

DOCTEUR LINGARD : Très bien, Jean. Je suis le Docteur Lingard, en charge des équipes infirmières.

JEAN ERNESTIN : Mais...vous puez l'alcool...

DOCTEUR LINGARD : Aucune importance. Écoutez moi. Nous sommes actuellement dans un cas de crise sanguine grave. Nous ne pouvons plus soigner les blessés, ils vont probablement tous mourir si on ne fait rien. Mais vous, vous pouvez tout arranger ! Vous pouvez tous les sauver ! Il faut que vous nous aidiez !

JEAN ERNESTIN : Attendez attendez ! Comment ça, je peux tous les sauver ?!

DOCTEUR LINGARD : Vous êtes en parfaite santé et de groupe sanguin O-. Vous êtes donneur universel, Jean Ernestin. À l'aide de votre sang, nous pouvons soigner l'hôpital tout entier ! Vous devez nous aider !

JEAN ERNESTIN : Mais non ! Je...

L'INFIRMIER : Jean Ernestin, je vous en prie...pensez à toutes ces personnes, à votre public ! Ils sont tous entre la vie et la mort et vous avez le pouvoir de les sauver !

DOCTEUR LINGARD : Nous n'avons pas d'autre donneur potentiel sous la main, nous avons besoin de votre sang ! Alors, accomplissez votre devoir et donnez le !

JEAN ERNESTIN (se redresse) : Laissez moi tranquille ! Maintenant, ça suffit, j'en ai assez, je ne veux plus avoir quoi que ce soit à voir avec quiconque.

(Jean Ernestin se dirige vers les coulisses. Alors, la Part Altruiste claque dans ses mains et la lumière devient rouge. Jean Ernestin s'immobilise)

LA PART ALTRUISTE : Si il pense que se refermer sur lui même est la solution pour être heureux...et bien, je vais lui prouver le contraire.

JEAN ERNESTIN : Bon, très bien...(légère pause. Jean Ernestin se retourne vers le Docteur Lingard) J'accepte de vous aider.

(Noir sur scène)

La prise de sangWhere stories live. Discover now