Chapitre 6 ~ Erow

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— Avez-vous un nom ?

Mon regard quitte le vague pour se porter au-delà des flammes. Les yeux de la demoiselle accrochent les miens pour ne plus les quitter, avides de réponses tout comme son ventre l'est de nourriture. Un léger fumet s'échappe de la gamelle cabossée posée sur ses genoux.

— Tout le monde a un nom.

— Alors pourquoi ne pas me délivrer le vôtre ?

Je la détaille. Assise sur un rondin de bois, la duchesse suçote ses doigts de poupée tâchés par la viande. Elle déguste son maigre repas, dans sa jolie robe décorée de perles, et ce sans le moindre couvert. Je n'ai pas été en mesure de lui en offrir. Comment alors, une femme qui respire la noblesse pourrait trouver un quelconque intérêt à en apprendre davantage sur un miséreux de ma trempe ?

— Parce que vous n'en auriez aucune utilité.

Une moue lui échappe avant qu'elle ne roule des yeux.

— Vous connaissez le mien. Il serait injuste de ne pas me donner le vôtre. Cela changerait-il quelque chose pour vous ? Vous avez la ferme intention de me tuer avant que je ne puisse rentrer chez moi de toute façon. Alors en attendant, faites un effort. A moins que vous ne préfériez que je vous nomme « brigand » ou « rustre » jusqu'à la fin de mon séjour ...

Elle lève son menton impérieux. Un sourire fend franchement mes joues mal rasées. Pour quelqu'un qui pleurait toutes les larmes de son corps un peu plus tôt, il faut bien lui reconnaître une certaine audace.

— Erow.

— Erow fils de ... ? demande-t-elle en relevant la tête.

— Erow fils de personne.

— Mais enfin, d'où venez-vous, Erow « fils de personne » ?

— De nulle part, ma douce. Le lieu où je suis né est trop isolé et insignifiant pour qu'on lui prête une appellation.

— Eh bien ! Vous voyez ! S'exclame la demoiselle, la bouche pleine. Tout le monde n'a pas de nom.

Je lui lance un regard éberlué.

— Dites-moi ... Pourquoi êtes-vous condamné à mort ?

Elle enfourne un nouveau morceau de lapin dans sa bouche décidément trop causante.

— En dehors de moi je veux dire ...

Un soupir m'échappe. Je masse délicatement l'arrête de mon nez. Pour peu, j'en viens à regretter ce temps où elle restait terrée au fond de la grotte comme un animal apeuré.

— Vous posez trop de questions.

— C'est si horrible que ça ?

Ses grandes prunelles fondent dans mes yeux de glace et m'observent avec une innocence qui me fait de nouveau tomber les armes.

— Tout dépend de ce que vous entendez par « horrible », je réponds en détachant chacun de mes mots. Si tuer un homme l'est, alors oui.

— Il y a des morts chaque jour. Vous avez dû prendre une vie d'importance ...

— Une vie d'importance ? Parce que certaines vies valent donc plus que d'autres ? Tout ce que j'ai fait se résume en une chose : survivre. Je préfère périr pour mes actes, plutôt que d'attendre la mort sans rien faire, dans la fange, et le ventre vide.

— Oh, vous avez donc volé le pain d'une noble assiette pour combler ce ventre vide ?

L'ironie condescendante de sa voix me provoque. Je lui lance un regard de biais.

Feu et GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant