Chapitre 9 ~ Erow

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Les sabots d'Helios frappent le sol avec force et vigueur. La terre boueuse trisse sur notre passage. L'eau me fouette le visage, noie mes yeux, s'acharne à essayer d'obstruer ma vue. Les feuillages ne se révèlent pas assez épais pour retenir le véritable torrent de larmes venu du ciel. Je peine à voir la direction vers laquelle nous nous dirigeons, mais je place toute confiance en mon fidèle compagnon équin pour retrouver le chemin de notre logis.

Un coup de tonnerre explose au-dessus de nos têtes. La précieuse enfant de mon ennemi sursaute devant moi comme une fillette terrorisée. Si mes bras ne l'encadraient pas fermement afin de maintenir les rênes, sûrement aurait-elle déjà mordu le sol à force de trembler comme elle le fait.

L'orage nous aura rattrapé bien plus vite que prévu. La douce et timide chaleur de ce début de printemps s'est rapidement vue chassée par les caprices du ciel. D'énormes bourrasques de vent secouent la cime des arbres pourtant d'apparence si robustes. Il devient de plus en plus crucial de s'abriter.

Helios peine à tenir le rythme. La boue colle et ralentit ses foulées. Surtout, deux cavaliers gorgés de pluie pèsent lourdement sur son dos.

Je finis par croire que nous ne rejoindrons jamais la grotte avant la fin de la tempête. Pourtant la forêt finit par s'ouvrir devant nous, dévoilant derrière ses troncs ruisselants la rivière familière devenue tumultueuse.

Je tire sur les rênes. Un éclair fend l'horizon. Il semble que ciel et terre se mènent une querelle acharnée. Helios s'emballe. Ses puissants membres antérieurs quittent déjà le sol pour tenter de battre l'air. Ma voix surmonte le vacarme de la nature déchaînée, intimant à ma monture de se calmer. Je tire sur la bride. Il finit par céder et plie sous ma volonté. L'animal redevient stable, mais je le sens broyer le mors entre ses robustes mâchoires. Un élan de folie aurait tôt fait de resurgir.

Je saute à terre. Mes bottes éclaboussent les alentours. Aussitôt ma poigne se referme sur les rênes pour empêcher Hélios de se cabrer. Je tends alors mon bras libre vers la duchesse.

Ma captive a perdu de sa prestance. Aucun mot n'a quitté sa bouche pourtant si généreuse en sarcasmes depuis que le déluge nous a piégé dans son tourbillon infernal. Ses cheveux collent à la peau de son visage et ses doigts blancs sont si serrés dans la crinière de ma monture que plus la moindre goutte de sang ne doit s'y trouver.

Elle lève de grands yeux incertains vers moi. D'un signe de tête, je l'encourage à descendre de cheval. Ses jambes passent de mon côté avec maladresse. Elle libère les crins trempés pour agripper mon épaule et se laisse tomber du haut de la selle. Mon bras se resserre et je la réceptionne contre moi avant qu'elle ne touche terre. Les multiples couches de sa robe ont absorbé tant d'eau que le vêtement pèse presque aussi lourd que sa propriétaire, si bien que je m'attends à la voir s'écrouler dans la bourbe lorsque je la libère. Eléane s'écarte et enserre son buste tremblant de ses bras. Il pleut si fort que je peine à discerner les traits de son visage. Il n'y a pourtant qu'un pas entre elle et moi.

- Rentrez à l'intérieur. Je vais rallumer le feu.

Je suis contraint de hausser la voix pour me faire entendre d'elle. Il me semble la voir acquiescer avant qu'elle ne s'éclipse hors de mon champ de vision.

Ma conscience s'allège d'un poids, pour autant nous ne sommes pas au bout de nos peines. N'avait-elle pas à l'instant les lèvres bleues à cause du froid ? Les gens de son rang ne sont pas coutumiers de telles conditions de vie. Eléane est fragile. Pourra-t-elle supporter ce climat que le bas peuple subit presque jour après jour en saison de pluie ?

Pour ma pauvre survie, il le faut.

Helios lève brusquement la tête lorsqu'un énième roulement de tonnerre gronde depuis les cieux. Ma prise se resserre sur les rênes. Je lève une main et prends le temps de caresser son encolure imbibée de pluie dans l'espoir de l'apaiser.

- Doucement mon vieux. Tout va bien. Toi et moi, on a déjà connu pire, pas vrai ? On va te ramener à l'intérieur. Tout doux.

Une brève résistance me répond alors que je recule prudemment et donne une légère pression sur la bride. Le timbre rassurant de ma voix continue à captiver son oreille.

Soudain la foudre frappe à nouveau. Le monde s'illumine d'un éclat violent et agressif. Un hennissement strident accompagne le hurlement déchirant de l'orage. Les lanières de cuir me sont presque arrachées des mains, glissent dans ma paume et y mordent sévèrement la chair.

L'animal fou se cabre de toute sa hauteur. Un sabot me frôle le front. Au-dessus, le déluge redouble d'efforts. Le poitrail massif d'Helios percute mon épaule. Je recule, le souffle court, mais profite de cette chance pour récupérer la bride et entraîner le cheval vers la grotte.

Feu et GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant