Chapitre 25

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Musique : https://www.youtube.com/watch?v=RpCSKhpvqeE

Paroles : https://www.musixmatch.com/fr/paroles/Tommee-Profitt-feat-Sam-Tinnesz/The-Hate-Inside/traduction/francais



Cette nuit était aussi rude que les derniers mois d'hiver. Le froid n'en finissait pas, et à en croire le bout des doigts paralysés du jeune soldat de ligne, il aurait raison de toute chaleur humaine avant le retour inespéré du printemps. Erow frotta ses mains l'une contre l'autre, mais rien n'y fit ; le cuir de ses gants ne semblait plus capable de faire barrière aux basses températures.

Combien de temps restait-il avant la fin de son tour de garde ? Un soupir teinté de fatigue lui échappa. Il se cala plus confortablement sur la simple chaise qui lui avait été mise à disposition. Bras croisés, il appuya son épaule contre l'une des poutres épaisses soutenant l'échauguette où il était perché.

Non loin de là, quelque part entre les murs de la fortification, ses camarades fêtaient un événement qu'il n'avait pas bien saisi. Le mariage récent d'un frère d'arme peut-être. Un sourire effleura brièvement ses lèvres endormies. Les bruits étouffés des festivités lui confirmaient ce dont il s'était douté lorsqu'on lui avait ordonné de tenir le poste du corps de garde : personne ne viendrait le relever cette nuit. Mais il en fallait plus pour entailler sa ténacité. Il était jeune, il était inexpérimenté. Il n'avait pas encore trouvé sa place au sein du bataillon. Ses preuves restaient à faire. Tenir sans broncher le rôle de sentinelle en faisait indubitablement partie.

Luttant contre le sommeil, Erow laissa ses yeux parcourir le paysage qu'il avait pour mission de surveiller. La guerre battait son plein à plusieurs lieux de là, aux abords des frontières ensanglantées du pays. Un moment d'inattention aurait vite fait de coûter cher aux siens si les armées ennemies parvenaient à s'infiltrer jusqu'ici.

Mais il n'y avait rien pour le moment. Rien d'autre que la plaine déserte et la forêt obscure qui bordait l'horizon pour occuper son attention. Alors il se laissa de nouveau happer par le vague de ses pensées.

Il pensa à ce jour futur où il intégrerait réellement les rangs. Ce jour où son apprentissage prendrait fin, où il serait prêt à accomplir ce pour quoi il était formé jusqu'à présent. Voilà bien trois années qu'il avait quitté le lieu qui l'avait vu naître pour mettre sa vie au service du duché.

Il n'avait fait que des tâches sommaires à son arrivée ; Décharger les chariots, aider en cuisine, s'occuper du bétail ... Par la suite, le garçon avait suffisamment gagné la confiance de ses ainés pour qu'on lui apprenne à œuvrer en écurie. Il s'était longuement usé les mains à s'occuper des bêtes, à nettoyer les équipements et à entretenir les armes.

Il aurait sans doute fait un très bon écuyer, pourtant ses yeux restaient irrémédiablement attirés par ces longues épées que les hommes du duc portaient à leurs hanches. On lui laissa sa chance un jour, lorsque ses bras devinrent suffisamment forts pour brandir l'une de ces lames. Et étonnamment, le fils de la bergère se montra adroit. Il apprenait et progressait vite malgré la férocité des entraînements. Alors on le garda entre ces hautes murailles, non plus pour racler le fumier, mais bien pour le préparer à un tout autre avenir. Ses compétences lui évitèrent de partir au front avec la chair à déchiqueter, contrairement à certains de ses jeunes camarades ; ceux dont les talents au combat s'avéraient trop médiocres pour monopoliser le temps des instructeurs.

Avec le temps, Erow avait vu le mépris s'atténuer dans le regard de ses congénères. Son acharnement au travail lui valait désormais l'indifférence de ceux à qui il aspirait ressembler. C'était bien mieux que les brimades et, par-dessus tout, le garçon savait que l'avenir lui fera gagner la considération de ces hommes ; lorsqu'il aura enfin le droit de se joindre à la cavalerie sur les champs de bataille. Son apprentissage lui permettra de survivre aux bains de sang qu'on décrivait, il en était persuadé. Lorsque la guerre prendra fin, son nouveau rang et son gagne-pain honorable lui obtiendront une vie plus confortable que ce que lui prédisait son sang de fermier. Si sa patience était d'or, Erow ne pouvait s'empêcher d'y rêver.

Feu et GlaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant