CHAPITRE 3

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Habituellement, on appréhende toujours un peu plus les périodes de congés avec la relève du ou des collègues absents. On fait le travail de deux personnes, pour le même nombre d'heures, en essayant de garder la même efficacité. C'est forcément toujours plus stressant. Isabelle a posé toute la semaine pour pouvoir s'installer tranquillement dans son nouvel appartement et j'en suis soulagé. Je me sens incapable d'affronter son regard. J'ai cette impression constante qui me suit. C'est comme si mon malaise se lisait partout sur mon visage, ou à travers ma maladresse.

Et pire encore, je fuis Olivier depuis dimanche dernier.

Pourtant, la nuit que nous avons partagée a été très agréable. Nous n'avions pas été aussi intimes depuis des semaines. Mais, au petit matin, tout est revenu comme un boomerang. Sans même le réveiller, j'ai enfilé ma tenue de sport et je suis parti.

Je cours pendant deux heures dans les allées du Parc de la Citadelle, sans m'arrêter, jusqu'à ce que mon esprit se perde. Compter chaque foulée sur le sol coloré. Se concentrer sur le doux crépitement des feuilles mortes sous mes pieds. Laisser la brise fraîche annihiler toutes mes pensées. Juste oublier. Et l'après-midi, je profite d'un rayon de soleil pour laver ma moto, la voiture et ranger le garage pendant que Olivier finalise un dossier.

Depuis que je suis rentré samedi soir, après le déménagement, je cherche à effacer cette journée.

Être en couple n'a jamais interdit de regarder. C'est humain de trouver une personne attirante, de l'observer, de se rincer l'œil. Rien de bien méchant. Et puis, on passe à autre chose.

Alors pourquoi, j'ai cette sensation lancinante qu'avec Valentin c'est différent ?
Pourquoi ce garçon s'est immiscé dans mes pensées un peu plus que n'importe qui d'autre ?
Pourquoi j'ai tant de mal à l'accepter ?

Heureusement, la semaine passe sans encombre. Et sans Isabelle.

Myriem et moi parvenons à bien gérer toutes ses commandes en cours. Nous n'avons pas beaucoup de temps pour souffler mais c'est exactement ce qu'il me faut. La charge de travail me permet de moins entendre parler de lui.

Mes idées un peu inappropriées s'atténuent.
Mes questionnements s'estompent.

Olivier est un peu plus présent. Il m'emmène au restaurant et au cinéma. Une soirée un peu banale mais il a réservé des places à l'UGC de Lille centre où les films passent en VOST. Il sait que cela me manque énormément et cette marque d'attention me fait plaisir. Nous n'avons pas fait une simple sortie en couple depuis une éternité. Il a compris que son absence m'a vexé et il veut se faire pardonner. Nos discussions tournent principalement autour du travail, le mien certes, mais je ne peux lui en vouloir d'essayer de s'intéresser.

La vie reprend son cours

Je sais que je ne peux pas en réchapper. Ma collègue revient travailler et, avec elle, revient aussi ces petits moments de pause que nous nous accordons pour parler de tout et de rien, de nos vies, de nos conjoints...
De son fils.

Chaque fois que le sujet Valentin refait surface, j'agis comme si de rien n'était. Je mets mon cerveau en pause, et je m'interdis de cogiter. Myriem et moi partageons au quotidien avec Isabelle ses joies, ses peines, ses moments d'énervement. De nous trois, elle est celle qui se confie le plus, elle en a besoin. Et à travers les mots d'Isa, je découvre encore plus le petit con rebelle, fier et arrogant qu'est son fils. Parfois, j'ai bien envie de lui tordre le cou, parfois ça me fait sourire et ça ravive une petite flamme en moi. Ce ne sont que des conneries d'un mec de vingt ans.
Moi aussi j'en ai faites.
Quoi qu'il arrive, j'écoute, comme le bon collègue que je suis.
Comme avant.
Impassible mais compréhensif.
Je garde le contrôle. Au fil des jours et des semaines qui passent, j'enferme cette fameuse journée d'automne au plus profond de moi-même comme une boîte à souvenirs que l'on enterre.

Jeux d'enfants Tome 1: Cache-cache (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant