CHAPITRE 6 (T.1)

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Je traverse le jardin, le coeur lourd. Avec le froid qui s'est désormais bien installé dans la région, je préfère laisser ma moto dans le garage pour la nuit. Je traîne des pieds comme hier, comme avant-hier, comme depuis le début de la semaine, chaque fois que je rentre à la maison. Je fais glisser la baie vitrée de la cuisine comme si cette barrière portait en elle tout le poids de mon amertume. Je pose mon casque sur le plan de travail le temps de retirer mon équipement. J'ai dû investir dans des gants plus épais. A San Diego, même en hiver, je pouvais simplement rouler avec ma veste en cuir plus légère mais ici, c'est impossible. Je n'ai jamais été habitué à des températures si basses pour un mois de décembre. Je me frotte les mains pour les réchauffer en traversant le salon et avance vers le couloir de l'entrée pour y ranger mes affaires.

Les valises trainent là, juste à côté de la première marche de l'escalier. Non pas une, mais deux. La petite à roulettes et la plus grosse, celle que nous utilisons pour les grands voyages. Mon coeur fait un bond. J'ai littéralement la sensation que tous mes organes ont embarqué sur une nacelle de manège et font des looping à l'intérieur.

Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Est-ce que ce sont ses affaires ?

Mes affaires ?

Olivier et moi ne nous sommes pas vraiment parlés depuis que je suis rentré de chez Valentin. Le dimanche a été une vraie torture. Une gueule de bois à m'en arracher les cheveux et des questions plein la tête. J'ai eu si peur que les choses dérapent avec Valentin la veille. Parfois son comportement m'effraie. Il dégage une désinvolture presque dérangeante mais tellement excitante. Pourtant il s'est montré adorable. Il m'a proposé un cachet pour faire passer la nausée, et s'est installé de son côté du clic-clac, gardant une distance raisonnable entre nous et nous avons encore un peu discuté. Quelques confessions sur son année un peu mouvementée depuis qu'il a découvert ses penchants pour la gent masculine. Mais au-delà de la peur de retrouver Olivier, au-delà du mal de crâne qui battait dans mes tempes, ce qui m'effraie le plus c'est de ne rien avoir oublié. De tout revivre dans ma tête, encore et encore. Je ressens encore la main de Valentin effleurant la mienne en se tournant dans le lit. Sa voix qui me chuchote bonne nuit. Son souffle, sa respiration que j'ai écouté pratiquement toute la nuit. J'aurais tellement aimé que l'alcool efface ces sensations. Tout aurait été plus simple.

Puis, au petit matin, je me suis éclipsé. J'ai remonté toute la rue à pied - ça m'a sacrément rafraîchi les idées - en priant tous les Dieux pour retrouver mon bébé à deux roues. Je me demande encore comment j'ai pu accepter de la laisser, en plein milieu du centre névralgique nocturne de Lille. Je l'ai récupérée, heureusement, et j'ai roulé jusqu'à la maison. Olivier dormait encore et je me suis couché dans la chambre d'amis. Je l'ai ignoré toute la journée. Et je l'ignore encore. Olivier, lui, me parle. Il s'excuse surtout. J'ai arrêté de compter le nombre de "désolé, mon coeur", "parle-moi, mon coeur".

Mais depuis trois jours, notre relation se résume à des bonjours, des au revoir et des hochements de tête.

Je tends l'oreille et lève les yeux vers l'étage. J'entends des bruits de pas. Ils approchent. Olivier apparaît, en haut de l'escalier, tout sourire. Je suis étonné qu'il ait déjà quitté du travail pour un mercredi soir. Ses cheveux ne sont pas coiffés. Il a vêtu son T-shirt des Toreros, l'équipe de football de San Diego et son Levi's bleu clair à trous. Il ne les a pas portés depuis des mois !

"Ah, tu es rentré.

- J'habite ici. Enfin... je crois. Vu les valises, je ne suis plus sûr.

- Oh ! Non, non, non ! Ce n'est pas ce que tu crois ! s'exclame-t-il en descendant les marches.

Jeux d'enfants Tome 1: Cache-cache (en pause)Onde histórias criam vida. Descubra agora