CHAPITRE 4

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Je n'ai pas osé composer son numéro, mais je n'ai pas non plus osé le jeter. C'est au-dessus de mes forces.
Depuis une semaine, chaque fois que j'enfile mon blouson avant de monter sur ma moto, je plonge les mains dans mes poches et je sens ce petit bout de papier qui titille le bout de mes doigts.
Je le sors, l'observe et le fais tourner entre mes phalanges. Je sais pertinemment que je devrais m'en débarrasser et passer à autre chose mais je n'y arrive pas.
Et je le remets là où il était.
Un secret bien gardé, juste là, dans le fond de ma poche.

Dire que cette rencontre m'a chamboulé serait un euphémisme. Elle m'a ébranlé jusqu'au plus profond de mes entrailles.
Le regard de Valentin me hante.
Il devient l'objet vers lequel toutes mes pensées convergent.
Que fait-il en ce moment ?
Va-t-il se comporter de cette façon chaque fois que je le croiserai ?
Ressent-il la même chose que moi ?
Quand va-t-il enfin cesser ce jeu ?
Je ne pense plus qu'à cela. Sans parler des fois où Olivier me réveille d'une énième rêverie dans laquelle je me perds.

Un peu comme maintenant.

— Oh, JC, tu m'écoutes ? Tu peux y aller alors ou pas ?

— Euh... oui. Oui, oui, je vais y aller.

— Ils m'ont confirmé que ça serait prêt pour 17 heures.

— J'irai en quittant.

— Génial ! J'essaierai de ne pas être en retard. Je compte sur toi pour préparer la table ? Je sais que tu adores ça, dit Olivier en se penchant vers moi. A ce soir alors, ajoute-t-il en embrassant rapidement mes lèvres.

Olivier m'a donc annoncé, il y a deux jours, qu'il avait invité à dîner ce soir le directeur régional du groupe bancaire pour lequel il travaille, et sa femme. Il veut que tout soit parfait, mettre les petits plats dans les grands. Il est en stress depuis hier et se préoccupe du moindre détail. "Tu crois que le menu sera assez bien ? Faudra qu'on nettoie la maison à fond ? Et, ah, tu pourrais porter le costume gris que j'aime bien, tu seras classe! Tu voudras bien te raser, mon cœur, s'il te plait ?". Donc l'option, jeans - chemise est à bannir, j'ai bien compris.
Je déteste quand il est comme ça !
J'ai l'impression de ne pas être assez bien pour eux. Pour lui.

Il s'est donc chargé de commander des plats chez l'un des meilleurs traiteurs de Lille, je dois aller les récupérer après le boulot, ce soir et sortir la belle vaisselle. Rien que ça ! Autant dire que tout ce déballage, moi, ça me fout la gerbe. Depuis quand devons-nous montrer une image qui n'est pas réellement la nôtre ? Tout ça pour une sorte de compétition malsaine avec les autres directeurs d'agence de la Région pour impressionner leur manager. Je n'ai pas intérêt à me planter, sinon, Olivier va me faire la gueule pendant 50 ans !

Je pose le plateau sur le plan de travail de la cuisine et y dispose la bouteille de champagne ainsi que quatre coupes en cristal. Je n'aurai plus qu'à ajouter l'assiette de toasts encore au réfrigérateur lorsque nous passerons au salon pour l'apéritif. Je fais le tour de la pièce, je réajuste bien les fleurs dans le vase central sur la table et vérifie une dernière fois que tout soit bien en place : les serviettes, les couverts, les bougies, les verres à pied pour le vin... J'ai fait sobre mais élégant. Un camaïeu de blanc, et d'argenté qui rehausse à merveille le bois grisé de la table de salle à manger que nous avons chinée chez un brocanteur à notre emménagement.

La sonnette résonne dans toute la maison et je vois Olivier débouler comme une furie dans les escaliers, en train de boutonner son col et serrer sa cravate. Après de nombreuses négociations, j'ai réussi à me faire épargner ce serre-cou désagréable. Costume gris et chemise blanche, c'est déjà pas mal.

Vingt heures pile. On peut dire que nos invités sont à l'image d'une marque suisse. Réglés comme une Rolex.

Je prends une profonde inspiration et j'accompagne Olivier jusqu'à la porte, le sourire jusqu'aux oreilles.

Jeux d'enfants Tome 1: Cache-cache (en pause)Where stories live. Discover now