Vladimir le porcelet

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Comme chaque année, Ludivine Ragondin était nerveuse. A quelques instants du commencement de sa fête très très bourgeoise, les employés de la maison s'activaient pour achever les derniers préparatifs et la dame criait sur tout le monde. En temps normal, elle était très irritable, mais quand elle était stressée, elle pouvait devenir insupportable. Pourtant, les employés subissaient sans un mot les colères de leur maîtresse car ils savaient que leur fiche de paie arrivait bientôt.

Mme Ragondin plaça son poignet tout maigrichon et tout ridé à la hauteur de ses yeux et consulta sa grosse montre Rolex en or.

-C'est inadmissible ! hurla-t-elle dans le hall. 

Tout le monde avait entendu son cri de rage mais personne ne se retourna. Quiconque interrompait son travail se voyait viré sur le champ.

La femme était furieuse. Elle avait demandé à cette petite sotte de Pivoine Pullover de pointer le bout de son nez à 18h30. Il était 18h31 et elle n'était toujours pas arrivée. Impatiente, elle marcha d'un pas contrarié vers la grande porte d'entrrée, sertie d'or comme sa montre, et l'ouvrit d'un grand geste afin de scruter les alentours. Elle baissa les yeux et trouva Pivoine cachée dans les buissons avec ses deux imbéciles d'amis.

***

Pivoine leva les yeux et aperçu l'imposante silhouette de Mme Ragondin. Sacrebleu ! Elle les avait repérés. Les trois amis étaient arrivés cinq minutes avant l'heure de rendez-vous, et ne voulant pas paraître sans vie sociale même si c'était le cas, ils avaient décidés de se cacher dans les buissons et d'attendre un peu. L'hôte était contrariée et tapait violement du pied.

-Je ne crois pas t'avoir dit que tu pouvais ramener tous ton troupeau ! (Elle soupira) Bon, ça fera quand même l'affaire, nous sommes déjà assez en retard comme ça.

Elle leur fit signe de la suivre à l'intérieur. Intrigués, les trois amis banals et ordinaires pénétrèrent dans l'imposante demeure. Pivoine pu jeter un coup d'œil à l'immense hall décoré de guirlandes, de ballons dorés et de paillettes. Il y avait un grand buffet. Elle n'en croyait pas ses yeux. C'était donc ici qu'elle allait passer la meilleure soirée de sa vie... A sa grande surprise, Mme Ragondin les mena à travers les couloirs de sa villa, au fin fond de ses appartements. Où allaient-ils comme cela ? Certainement pas sur le lieu des festivités ! Finalement, Ludivine ouvra la porte d'une salle et les quatre personnes entrèrent à l'intérieur. Le lieu ressemblait à une chambre d'enfant. il y avait un berceau, et quelques jouets qui traînaient.

-Que veut dire tout cela ? demanda Pivoine. Nous n'allons pas faire la fête ?

-Non, pas vous ! lui ria au nez Mme Ragondin. Franchement, tu te croyais assez importante pour pouvoir t'amuser avec nous ? Tu n'es qu'une fille banale et ordinaire !

Choquée à vie, la jeune fille éclata en sanglots. Tous ses rêves étaient brisés. Furieuse de voir sa meilleure amie dans le chagrin, Marie-Maxime demanda sur un ton très rude :

-Excusez-moi de vous interrompre, ma très chère madame, ne vous méprenez pas sur mes intentions, elles sont tout à fait honnêtes et pacifique, mais auriez-vous l'amabilité de nous informer de la raison de l'invitation de mon amie Pivoine ?

-Tout à fait. Je vous ai embauchés afin de me rendre un petit service.

-Ca veut dire qu'on sera payés ? demanda Dédé avec espoir.

-Oui, en francs, répondit la gente dame même si ce n'était plus une monnaie courante et que nos personnages vivaient dans un pays fictionnel qui n'était en aucun cas la France.

-Et que doit-on faire pour toucher ce pactole de Crésus ? l'interrogea Pivoine qui avait soudainement oublié tous ses rêves brisés.

Mme Ragondin balança son bras dans l'air, bien que ce geste fut totalement inutile.

-C'est simple : vous devrez vous occuper de Vladimir durant ma fabuleuse et chiquissime fête !

-C'est un bébé ? questionna Dédé.

-Non c'est mon porcelet de compagnie.

Pivoine leva les yeux au ciel. Ludivine Ragondin n'avait pas besoin d'être aussi rude avec lui. Bien que le fait que la chambre soit celle d'un bébé était évident, elle aurait tout de même pu lui répondre plus gentiment ! Mais notre petite héroïne était bien naïve ; la dernière fois que cette bonne femme avait été gentille remontait à 1978, quand elle avait dit "à tes souhaits" après un éternuement plutôt impressionnant de son père. Et encore, ce n'était que de la politesse...

-Bon, il est temps de  l'appeler, déclara-t-elle. Vladimir ! Viens me voir mon chou !

On entendit des petits pas rapides marteler le sol.

"Il marche vite, ce bébé !" pensa Pivoine.

Soudain, une ombre apparu et les trois amis purent enfin apercevoir le profil du nouveau-né... qui était en réalité un véritable porcelet. Mme Ragondin avait bel et bien parlé au premier degrés. Vladimir était un beau spécimen, la tête noire et les fesses roses. Il émettait des cris très aigus, ce qui gênait énormément Marie-Maxime. Il fallait dire qu'elle n'était pas très tolérante envers les mammifères aux prénoms russes. Et aussi elle était un peu cochonophobe.

-Bon, je vous laisse faire connaissance ! pépia Mme Ragondin, ce qui était affreusement ridicule de la part d'une femme de cet âge-là.

Sur ces mots, elle partit finaliser les préparatifs de sa fête très très bourgeoise, laissant les trois jeunes gens plantés en plein milieu d'une chambre de bébé en compagnie d'un porcelet appelé Vladimir.

Pivoine se laissa tomber sur un pouf et pleura à chaudes larmes. Elle, qui était si banale et ordinaire, n'allait jamais pouvoir vivre la soirée de sa vie tout cela à cause d'un cochon ! Ses amis étaient vraiment tristes pour elle. Ils se firent tous un gros câlin, digne du plus grand épisode des Telletubies. Quand ils se séparèrent, Pivoine déclara d'un ton déterminé :

-Après tout ce que cette vieille sorcière nous a fait endurer, nous allons honorer gentiment sa promesse ! Qui est d'accord avec moi ?

-Moiii ! cria Dédé, hystérique.

-Euh pas moi, refusa Marie-Maxime. Comme tu le sais déjà, je suis atteinte de cochonophobie, je ne peux donc pas vous aider.

-Ce n'est pas grave, lui dit Pivoine. Tu peux profiter de la fête pendant que nous nous occupons de Vladimir. Mais fais attention à ne pas croiser Mme Ragondin !

Marie-Maxime remercia sa meilleure amie et partit prendre du bon temps. Pivoine et Dédé soupirèrent et se retournèrent, pour faire un horrible constat : Vladimir, le porcelet chéri et pourri gâté de Mme Ragondin, avait disparu après cinq minutes de babysitting !

La fête très très bourgeoise de Madame RagondinWhere stories live. Discover now