T3 - Chapitre 3

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Le manoir des De Salle était lugubre.

L'image même de ces vieilles maisons gothiques que leurs anciens propriétaires ne peuvent s'empêcher de hanter, celles qu'on imagine dotées d'une histoire triste et sanglante à la fois, d'amours déçues et d'enfances perdues.

La demeure, peut-être consciente de son état, s'accrochait au brouillard, s'enveloppait dedans comme pour mieux s'y dissimuler, si bien que le jour n'était qu'une pénombre claire, une lumière grisâtre.

Ce qui allait parfaitement au docteur Watson qui avait enfoncé son chapeau sur ses yeux et remonté au maximum le large col de son manteau. Ainsi, la lumière du soleil était supportable, se limitant à une simple démangeaison.

Deux hommes guettaient l'arrivée de la calèche, debout sur le perron.

Le premier, droit comme un I, ne pouvait être que l'aîné. Sec, rêche, sévère et réprobateur, il déplût immédiatement au docteur. L'autre n'aurait pas pu être plus différent. Ce devait être le fameux James, soupçonné de lycanthropie. Fin, élégant, beau jeune homme – autant que le docteur puise en juger – sa face ouverte et sympathique s'illumina lorsque sa sœur descendit du véhicule.

Holmes toucha fugitivement le bras de Watson pour attirer son attention.

Là-haut, un rideau s'était tiré. Un vieillard dévisageait les nouveaux venus, une expression indéchiffrable plaqué sur sa face ridée. Lorsqu'il s'aperçut qu'il était découvert, il eu une mimique de colère, et le rideau retomba.

— Vous devez être le « fameux » Sherlock Holmes ? Lança l'aîné au détective d'un ton légèrement méprisant. Je suis Édouard de Salle. Veuillez accepter mes plus plates excuses pour le comportement de ma sœur. Je ne sais pas quelles fariboles elle est allée vous raconter, mais croyez bien que ce ne sont que des chimères, dues à sa faible nature. Vous serez bien sûr dédommagé pour votre déplacement.

— Voyons, Édouard ! S'exclama le plus jeune, tu ne peux pas le jeter à la rue comme ça, alors qu'il est venu pour aider !

— Ne vous en faites pas pour nous, intervint Holmes. Nous sommes simplement venus nous assurer que cette jeune fille, visiblement perturbée, était bien rentrée chez elle. Nous repartirons bientôt. Malheureusement, mon ami, le docteur Watson, est un peu malade. Y aurait-il une auberge où nous pouvons loger pour la nuit ? Et, bien entendu, il n'est pas question de dédommagement !

La face du détestable personnage se détendit aussitôt.

— Certes, certes, en ce cas, monsieur Holmes, nous vous sommes très redevable... Il y a une auberge au village, mais je ne vous conseille pas d'y dormir, les lits sont très mauvais. Non, allez déjeuner, dites au patron de mettre le repas sur mon ardoise, et repartez ce soir, par le train de 20h. Je suis sûr que de nombreuses affaires vous attendent à Londres.

— En effet, nous ne voudrions pas abuser de votre générosité. Au revoir, monsieur De Salle.

— Adieu, monsieur Sherlock Holmes.

Et, sans rien ajouter de plus, il fit volte face et entra dans la demeure.

— Monsieur Holmes... commença la jeune fille, émergeant tant bien que mal de son sommeil profond, vous nous abandonnez ?

— Ne dites pas de bêtise, répondit en souriant le détective. Comme voudriez-vous que je reparte avec un tel mystère dans les parages ? Même avec un fusil et trois chiens de chasse, votre frère ne pourrait pas me déloger ! Allez, venez Watson, j'ai hâte de visiter ce si pittoresque village !

Le brave docteur envoya un sourire de sympathie à leur cliente avant de suivre son ami, déjà bien éloigné.

~

Une seconde avant, il n'y avait que du brouillard. Un instant plus tard, l'ombre des maisons les entourait. Décidément, pensa le docteur, si un loup-garou devait apparaître quelque part, c'était bien ici !

— Commençons par l'auberge, lança Holmes en avisant une enseigne. Tien, voilà qui ne manque pas d'humour...

— Quoi donc ?

— Le nom de l'auberge...

— C'est en français, Holmes, soupira le docteur.

— « La Bête du Gévodan ». Avec votre goût du fantastique, vous en avez sûrement déjà entendu parler...

Le docteur déglutit et se dépêcha de pousser la porte de l'auberge.

À sa grande surprise, l'intérieur de l'auberge se réveilla aussi douillet et accueillant que l'extérieur était triste et lugubre. Quelques clients prenaient tranquillement leurs repas, dans une ambiance sonore agrémentée de rires et de discussions. Un aubergiste, aussi rond que le voulait l'image de sa profession, vint les accueillir avec un grand sourire, ravis et surpris d'avoir des clients en cette saison, et à plus forte raison, des clients étrangers ! Peut-être qu'un loup-garou n'était pas si mauvais pour les affaires, finalement...

— Bonjour, messieurs, que puis-je pour vous ?

— Nous voudrions deux chambres, répondit Holmes.

— Tout de suite ! Si vous vouliez signer le registre... SHERLOCK HOLMES ! L'homme faillit s'étouffer. Pas LE Sherlock Holmes, quand même ?

— Hé bien, répondit l'intéressé en levant un sourcil, surpris et agacé que sa notoriété soit arrivée jusqu'ici, je n'en connais pas d'autres...

— Mazette ! MAGDA ! Beugla l'aubergiste, attirant l'attention des derniers clients qui ignoraient encore l'identité des nouveaux venus, MAGDAAA ! SHERLOCK HOLMES EST LÀ !

Une femme rondelette surgis comme une furie de la cuisine pour se précipiter vers le détective .

— Oh mon Dieu, c'est merveilleux ! J'ai lu toutes vos aventures ! Vous êtes là pour cette histoire de loup-garou, n'est-ce pas ? Oui, je le savais, figurez-vous que je disais justement à Ronie, Ronie, c'est mon mari, je lui disais justement hier soir que...

Le docteur s'éclipsa discrètement. La foule s'était refermé autour de son ami, le laissant de côté, comme d'habitude. Tous voulaient connaître l'extraordinaire Sherlock Holmes. Comment les en blâmer ? En comparaison, pourquoi s'intéresser à un simple médecin ? Et puis, Holmes ne l'avouait jamais, mais même si ce genre de situation le mettait toujours un peu mal à l'aise, sa notoriété était très pratique lorsqu'il s'agissait de faire parler les gens.

Heureux d'être débarrassé du soleil – fût-il faible – sur sa peau, il s'assit tranquillement à une table maintenant vide, bourra sa pipe, et sortis un carnet pour noter ses premières impressions sur l'affaire.

Une heure plus tard, son ami, apparemment à la limite de sa tolérance à autrui, vint sans façon lui attraper l'épaule et, ramassant au passage leurs manteaux et chapeau, le poussa dehors.

— Watson, grogna-t-il enfin seul, des fois je vous déteste, vous et vos histoires à succès !

— Mais non, Holmes, mais non, ria le docteur. Qu'avez-vous appris ?

— Les deux premiers corps ont tout deux été découvert par un agent de police, apparemment le seul du patelin, qui faisait sa ronde. Le commissariat est un peu à l'écart du village, près de la forêt. L'abbé est tombé sur le troisième en allant sonner les cloches, le matin.

— Qui allons-nous voir en premier, l'abbé ou le policier ?

— Je suis surpris que vous n'ayez pas déjà remarqué l'abbé, répondit Holmes d'un ton légèrement cynique. Il cuvait son vin dans un coin. Certes, il ne portait pas de signes distinctifs, mais la forme de la Bible dans sa poche était facilement reconnaissable, ajoutée à la chaîne que l'on voyait dépasser de son col – certainement un crucifix – et le regard de pure désapprobation que lui lançait la maîtresse de maison...

— Vous me stupéfierait toujours, Holmes ! J'en conclus que nous allons interroger ce policier ?

— Vous concluez bien, mon cher Watson !

Sherlock Holmes & John Watson - Les Vampires de LondresWhere stories live. Discover now