Parce qu'elle est le soleil - 2

3K 208 25
                                    

À chaque arrêt, les gens descendaient par groupes de deux ou trois. Je reculai dans le fond de l'ascenseur pour éviter de récolter davantage de remarques sarcastiques de la part de Malefoy. Quand il ne s'amusait pas à ridiculiser mon mari, c'était à moi qu'il s'en prenait. Un brossage de dents rigoureux fini au fil dentaire, (une fille de dentistes, ça ne se refait pas), un gant de toilette sur mon visage et un coup de peigne pour lisser mes cheveux toujours emmêlés, voilà ma toilette du matin. Le maquillage ? Les manucures ? Les coupes de cheveux ? C'était trop de tracas tout ça. Je disposais de si peu de temps pour faire tout ce que je voulais faire ; ça semblait presque immoral de passer trente minutes par jour devant un miroir pour se faire belle.
Comme Malefoy ne pouvait pas me battre sur le plan intellectuel, il fronçait le nez devant ma toilette négligée. Il prenait ce que je considérais être de la force de caractère, et il le transformait en un défaut. 

À une réunion, quelques temps auparavant, j'avais rassemblé mes cheveux dans un chignon mal fait sur le dessus de mon crâne, et j'y avais enfoncé ma baguette pour les faire tenir en place. Quelques minutes plus tard, il m'avait fait passer un petit mot. Élégamment calligraphié, il était écrit « tu as une tête à faire peur, Granger, » et, comme si je pouvais avoir le moindre doute, il avait ensuite transformé ma plume en peigne. Me précipitant dans la salle de bains pour me passer de l'eau froide sur le visage, je m'étais vue dans le miroir. Je faisais vraiment peur. La semaine précédente, il avait attendu que je le regarde pendant une réunion pour baisser les yeux sur mes cuticules en sale état avant de lever une main à sa bouche dans un bâillement distingué. En sortant, il avait laissé tomber une lime à ongles sur mes genoux.

J'aurais voulu pouvoir dire que je me moquais de ses basses attaques concernant mon apparence, mais ce n'était pas vrai. Il me faisait me sentir pouilleuse. Des pieds à la tête, de mes cheveux désormais grisonnants à la semelle de mes chaussures plates et pratiques. Un regard à mes ongles coupés trop courts ou à ma nouvelle frange, et un petit sourire supérieur apparaissait sur ses lèvres. Et un commentaire sur comment je me fichais complètement de ma féminité. Ce faux sourire me faisait calculer à quand exactement remontait ma dernière vraie coupe de cheveux. Quand était la dernière fois que je m'étais acheté une nouvelle robe ? La dernière fois que j'avais mis du rouge à lèvres ? La dernière fois que j'avais changé de boucles d'oreilles ? 

Me sentant soudain honteuse je réalisai que je n'avais pas un seul soutien-gorge avec de la dentelle. Que mes sous-vêtements auraient reçu la bénédiction d'une Carmélite. Sans même avoir besoin de faire quoi que ce soit, il arrivait toujours à me faire sentir que l'alliance à mon doigt ne servait qu'à cacher la vieille fille que j'étais au fond. Aujourd'hui, de façon caractéristique, il avait remué deux fois le couteau dans la blessure. Cette remarque sur Ron, alors qu'il savait très bien les horaires de fou que j'avais, ça se traduisait par : « qui pourrait bien vouloir la sauter ? »

Je ne pouvais même pas dire que c'était contre moi. Il observait tout le monde. C'était une vraie commère et il savait qui couchait avec qui, qui allait avoir une promotion, et qui n'en aurait pas. Si vous vous étiez disputé avec votre copain la veille, il le savait et vous faisait envoyer une rose à votre bureau. Si vous étiez un gars, il vous emmenait boire une bière à la sortie du boulot. Il savait tout. Vos faiblesses. Vos forces. Et si par malheur vous étiez en travers de son chemin dans son ascension vers le pouvoir, il arrivait à déterminer exactement comment faire de vos forces une faiblesse. Tout cela voulait dire que quand il vous surveillait, vous vous mettiez à le surveiller, par simple instinct de survie. 

L'âge lui allait terriblement bien. Son visage s'était fait moins pointu, mais passer du Quidditch au tennis lui avait permis de garder sa silhouette mince d'adolescent. J'avais passé assez de réunions avec lui pour savoir qu'il devait avoir une manucure deux fois par semaine ; ses ongles étaient nets et taillés de façon à ce que ses mains élégantes paraissent toujours au mieux. (Inutile de préciser que je pensais à me servir d'un coupe-ongles seulement quand mes ongles commençaient à raccrocher mes vêtements.) Il passait chez le coiffeur une fois par semaine, aucun doute. (Quand ma frange commençait à m'embêter, je la raccourcissais avec des ciseaux de cuisine.) Même moi je savais que sa fausse nonchalance se payait en Gallions. Ses cheveux avaient complètement viré au gris au cours de l'année précédente, faisant disparaître toutes traces du gamin blond qu'il avait été. Je le soupçonnais d'utiliser un sortilège Glamour pour se donner un air en paraissant plus vieux. J'avais essayé de le prouver en murmurant un discret Finite Incantatum en passant derrière lui, mais ça n'avait rien donné. 

Il avait appris qu'un sourire paresseux rapportait bien plus qu'un rictus. Pour utiliser une expression moldue, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre. Malefoy avait donc sa méthode et avait remplacé le vinaigre par l'oseille. Ça ne voulait pas dire qu'il n'était pas un connard débordant de sarcasmes quatre-vingt-dix pourcent du temps, mais une autre chose qu'il avait apprise, c'est que vous aviez le droit de dire des choses horribles et cruelles sur les gens si vous faisiez passer ça pour une blague. 

Ron et moi étions souvent la chute de ses blagues. 

Comme si j'avais besoin d'une raison supplémentaire pour le détester. 

L'ascenseur continua son périple dans les entrailles du Ministère et se vida peu à peu jusqu'à ce qu'il ne reste plus que nous deux.

« Tu as manqué ton étage, Malefoy. »

J'appuyai sur le bouton du quatrième étage pour lui rafraîchir la mémoire. On m'avait collée au septième, et c'était une preuve désagréable de la façon dont les Relations Moldues étaient globalement vues. 

« Je venais te voir, pour tout dire. »


La femme du politicien - DramioneWhere stories live. Discover now