Tout s'écroule - 5

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Est-ce qu'il me manquait ?

Oui.

Est-ce que ses mots me hantaient aux heures les plus sombres de la nuit, quand il n'y a que votre oreiller et le noir ?

Oui.

La complicité me manquait, et ce qu'on partageait : les livres, l'amour de l'art, la gastronomie et le bon vin, et le tennis deux fois par semaine. Lui parler me manquait. Sa présence à côté de moi me manquait. Le parfum de son après-rasage quand il se penchait près de moi. L'odeur musquée de sa transpiration après un match animé.

Est-ce que je le croyais ?

Certains jours, oui ; certains jours, non. Il était un puzzle à moitié terminé. Certains morceaux étaient remplis, mais l'image globale, le tout, m'échappait toujours. Il y avait des pièces éparses partout sur la table, mais je n'arrivais à en placer aucune. Tout ce qu'il me restait était une mosaïque incomplète. J'avais réussi à relier toutes les pièces du bord mais le milieu n'était qu'un vaste chaos. Il y avait des marques ténues de l'aristocrate pourri-gâté qui l'avait si bien défini quand il était ado à Poudlard ; des traces du jeune homme de vingt ans un peu louche qui avec sa femme avait établi les standards du chic après-guerre ; des morceaux de bonne taille de l'homme de trente ans qui, suivant un programme digne de Machiavel, avait commencé à simultanément établir des alliances politiques et à détruire ses rivaux. Les pièces concernant l'homme qui voyait mon intelligence comme un atout, qui m'égalait dans l'amour des livres et qui pensait que j'étais belle et brillante restaient de côté.

Est-ce que je l'aimais ?

Certains jours je pensais que oui et certains jours je pensais que ma passion pour lui n'était qu'une réaction à l'ennui qui avait caractérisé mon mariage pendant si longtemps. Mais aux heures les plus sombres de la nuit, quand il n'y avait que mon oreiller et le noir, je l'aimais follement. Je rêvais de lui presque toutes les nuits. Nous étions généralement dans son appartement, toujours plein de ce chrome atroce et de ces meubles en cuir, mais ça ne me dérangeait pas. Je ne savais pas ce que je disais, mais dans ces rêves il m'écoutait parler ou me versait du thé ou brossait mes cheveux. Ce n'était pas des rêves érotiques. C'était bien plus pathétique. C'était des rêves de tous les jours.

Et puis il y avait les rêves érotiques. Des rêves dont je me réveillais en me touchant, tremblante dans mon orgasme.

Les jeunes ne comprennent pas le sexe. Vous ne retrouverez jamais cette passion qui vous transperce jusqu'aux os, mais ce sexe-là consiste à exploser parce que si vous ne le faites pas vous devenez dingue. Le sexe quand vous êtes plus vieux, c'est la nuance, construire la passion caresse après caresse, baiser après baiser. C'est savoir et mettre sa main là, et puis là et s'il te plaît, oui, là ; monter graduellement jusqu'à ce que la délivrance soit si douce. Je blaguais en disant que Ron aurait pu baiser un Kleenex et avoir un orgasme à condition que le mouchoir soit lubrifié. Avec les femmes, c'est différent, un peu plus dur, mais l'idée d'une explosion qui vous apaise est la même. Mais je n'échangerai jamais ce besoin frénétique pour la sexualité que j'avais désormais. Maintenant il y avait une réflexion et une connaissance et c'était bien plus satisfaisant. Et, comme chacun sait, la connaissance c'est le truc d'Hermione Granger.

Quelques nuits à avoir ces rêves et je me retrouvais à me masturber chaque soir. Je mettais mon oreiller sur ma tête pour oublier que j'étais allongée dans le lit où j'avais grandi, avec cette horrible couette et cet édredon criard que j'avais reçus pour mon treizième anniversaire. Je n'en avais jamais assez. Je restais allongée là et je laissais l'insomnie se repaître de moi jusqu'à ce que je pense mourir d'épuisement, et puis je pensais à lui dans son kimono noir et comment son corps s'encastrait contre le mien. Et cette bouche aux lèvres pleines et l'effet qu'elle aurait si elle se refermait sur mon mamelon. Je laissais ma main glisser et je me caressais et imaginais. Je me disais que c'était seulement pour que je puisse dormir.

Ce qui devint rapidement une réalité.

oOo
En regardant en arrière, il semblait que mon mariage avait été une combinaison de soulagement parce que nous avions survécu, de camaraderie forgée par nos aventures, et de sexe plutôt correct qui tenait le tout ensemble. Ces années me paraissaient désormais floues. Plutôt comme je voulais qu'elles aient été que comme elles avaient réellement été. Peut-être que ça avait été réel. Au début. Peut-être qu'il y avait eu ces jours où nous nous écoutions. Quand je n'étais pas la baby-sitter de Ron et qu'il n'était pas mon meilleur ami avec du sexe en plus. Peut-être que si on avait eu des enfants ça aurait été différent. Ils auraient été la superglu émotionnelle qui nous aurait liés ensemble, et on aurait pu magnifiquement ignorer le fait que nous n'avions rien à nous dire à part parler de nos enfants et de nos petits-enfants.
Est-ce que c'est comme ça que les autres gens font ?

La femme du politicien - DramioneWhere stories live. Discover now