Partie III

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L'homme se tenait en retrait tout comme elle, semblant porter un désintérêt singulier pour ce qui se déroulait devant lui. Mademoiselle de Sarrin, malgré tous les efforts qu'elle mettait à la tâche, ne parvenait pas à détacher son regard de ce nez si grand et si beau, qu'elle ne comprît pas qu'il ne soit pas assailli par davantage de soupirantes. Dans quelque rêverie qu'elle pût être, Mademoiselle de Sarrin contemplait désormais l'illustre inconnu et il lui sembla qu'il n'y eût plus qu'eux deux aux alentours. Par un heureux hasard leurs regards se croisèrent, et la modestie de l'héritière lui fit baisser le regard avec déférence. Elle se sentait conquise par un sentiment étrange que, elle en était certaine, il messeyait de laisser paraître. Quand elle se détourna dans l'intention de se dissimuler, l'inconnu sembla sortir de sa torpeur et se décida à la rejoindre.

« Que n'osez-vous point à me regarder ? »

A ces mots si peu convenable la demoiselle releva les yeux vers lui. C'est avec une satisfaction non feinte qu'elle gageât que des murmures s'élevaient autour d'eux, et que l'on les observât, comme s'ils étaient une curiosité. Mademoiselle de Sarrin se sentit telle Mademoiselle de Chartre rencontrant M. de Nemours, contemplés tous deux par le reste de la cour. Elle n'aurait pu être plus dans l'erreur toutefois, car tous étaient bien trop occupés à admirer la beauté de sa mère.

« Qui êtes-vous ? lui demanda à nouveau l'inconnu.

— Eh bien, ne m'avez-vous point vu arriver ? J'accompagne ma mère, Madame de Sarrin. Et vous, me direz-vous votre nom ?

— Je suis le cousin du vicomte de Chambeau, M.de Nancy. Il fut bien opportun que je ne vinsse, cela me permit de faire votre rencontre. Las, je me sens bien méchant homme désormais que je suis en votre présence. »

Mademoiselle de Sarrin faillit se sentir défaillir au compliment, qui était le premier qu'elle ne reçût d'un homme. Elle ne répondit rien à la cajolerie, car son livre si apprécié lui avait appris à se méfier du sentiment si captieux que pouvait être une inclination trop profonde. « Pour éloquents et bien fait que sont les hommes, ils sont ce que nous devrions redouter le plus » songea-t-elle. L'effervescence qui régnait céans ne leur permit pas de se découvrir davantage, et Mademoiselle de Sarrin dut, à son plus grand soulagement, quitter l'homme affété, et retrouver sa mère qui l'attendait. A leur retour, la jeune fille prit congé et retourna à sa chambre, où elle s'adonna à la lecture attentive de l'œuvre de Madame de La Fayette. Bien qu'elle contemplât l'idée d'avouer sa rencontre avec M. de Nancy à sa mère, le bon sens la rattrapa : Madame de Sarrin n'était en rien semblable à Madame de Chartre, et Mademoiselle de Sarrin craignait que sa mère ne contredisât son si fervent désir de vertu. Satisfaite de sa résolution, qui n'était point risquée, l'héritière entra dans un désarroi terrifiant lorsque, en parcourant des yeux la scène de rencontre entre Mademoiselle de Chartre et M. de Nemours, c'est elle-même en compagnie de M. de Nancy qu'elle entrevoyait dans son esprit. Elle se sentit submergée de peur, et de joie elle manquait terriblement, pour avoir fait la rencontre du gentilhomme. 

Mademoiselle de SarrinWhere stories live. Discover now