Partie IV

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Les jours doux se succédaient, et avec eux la passion de Mademoiselle de Sarrin pour M. de Nancy grandissait. Qu'elle abhorrât que son esprit s'opiniâtrât de la sorte, à entretenir de tendres sentiments pour un homme qui ne lui était assurément pas promis ! Ses rêves étaient si remplis du nez de M. de Nancy, dont la taille si parfaite lui avait fait la plus belle impression. Mademoiselle de Sarrin se trouva au fil des jours dans une apathie croissante, tant son esprit rêvait d'amour, mais sa raison demeurait du côté de la vertu. Inquiète, sa mère s'enquit à plusieurs reprises de ce qui la tourmentait, mais sa fille l'éconduisait chaque fois, prétextant une faiblesse. Un jour, elle refusa de manger le plat que sa mère lui avait fait monter, un plat qui l'affriandait tant d'ordinaire. Un autre jour, elle dérogea à une promenade à cheval, alors même que c'était une activité dont elle tirait toujours beaucoup de plaisir. Cela acheva d'inquiéter Madame de Sarrin, qui n'avait jamais vu sa fille dans un tel état d'accablement. Et n'en pas connaître la raison lui était fort insupportable, aussi décida-t-elle un jour de mener sa fille à la cour peu importe ce qu'elle en dirait, dans le dessein d'abonnir. Qu'une personne si belle et distinguée ne restât en retrait lui semblait un fait bien triste, et elle se languissait de présenter sa fille à toutes les belles personnes qu'elle connaissait.

« Mère, je ne le veux vraiment pas. Je me sens fatiguée, laissez-moi simplement rester ici au repos, s'était défendue sa fille.

— Ne dites pas cela mon enfant, vous êtes au repos depuis des jours. Il est temps pour vous de paraître en public, vous ne pouvez pas vous cacher éternellement. Vous ais-je donc éduquée pour devenir une recluse ? Si cela avait été mon but, vous seriez au couvent. Maintenant, préparez-vous. Cette sortie vous distraira. »

Ne pouvant aller à l'encontre du désir de sa mère, Mademoiselle de Sarrin se leva du fauteuil où elle était installée, et rejoignit son armoire pour en tirer quelque tenue. Elle se revêtit par la suite d'une belle parure, et décida au moment de partir d'emmener avec elle son roman favori, qu'elle dissimula dans les plis de sa robe. Madame de Sarrin ne vit rien, et les deux femmes se rendirent à la cour.

La joie de revoir Madame de Sarrin transparaissait sur chaque visage des personnes présentes. L'on dévisagea sa fille, l'on s'étonna de la revoir céans, alors qu'elle était si peu gracieuse, si peu élégante. Pour se donner du courage, Mademoiselle de Sarrin déposa une main sur les plis de sa tenue où reposait le livre, retenu par un système ingénieux d'attaches qu'elle avait fabriqué afin de le garder près d'elle en toute discrétion.

« Allez donc danser avec quelqu'un, ma douce, peu importe qui il est. » l'enjoignit sa mère.

L'héritière n'en avait aucun désir mais elle le fit tout de même. Il lui fallait choisir un homme, et elle parcourut l'assemblée dans cette optique. Son dévolu se jeta sur l'un d'eux qui se tenait de dos et qui lui paraissait tout à fait convenable. La jeune fille ignorait si la convenance voulait qu'elle se fasse inviter, au lieu de l'inverse, et n'y prêta pas attention, en se dirigeant vers l'homme.

« Monsieur, auriez-vous l'amabilité de m'accorder une courte danse ? » demanda-t-elle avec la plus grande politesse possible.

L'homme interpellé se retourna, et elle découvrit avec surprise le visage de M. de Nancy, dont le sourire s'agrandit à sa vue. Il la salua avec toute la déférence qu'il devait à une dame. Bien embêtée, Mademoiselle de Sarrin n'eut pas le cœur à l'éconduire devant tant de spectateurs, et rejoignit l'assemblée qui dansait, à ses côtés. Tandis qu'ils évoluaient ensemble, il lui semblât entendre çà et là des murmures étonnés et admiratifs, certainement appréciateurs de voir deux si belles personnes danser. Elle n'aurait pu être plus trompée cependant, car les murmures étaient des rires, et l'admiration était de l'amusement.

Mademoiselle de Sarrin regrettait de n'avoir pris de gants, tant le contact de leurs paumes la mettait en émois. Quand la musique s'évanouit elle se sépara de l'homme et s'éloigna afin de reprendre la contenance qu'elle avait perdu. Pour son plus grand malheur M. de Nancy la suivit, sans doute par désir d'échanger avec elle.

« Ne me suivez pas, Monsieur. Je me sens fatiguée, je ne serai pas d'une bonne conversation.

— Je ferai fi de votre fatigue et vous tiendrai alors simplement compagnie, puisque votre désir n'est pas de converser. Laissez-moi jouir de votre si douce compagnie, et vous ferez mon bonheur, ma dame. »

— Cessez votre comédie, Monsieur. Je ne peux répondre à votre affection pour moi et souffre de voir votre visage.

— Que ne vous laissez vous donc pas toucher par mon amour ? L'on dit de moi que je suis des plus honnêtes, et l'on ne se trompe pas. Je cherche depuis si longtemps une femme pour me combler, et passer ma vie à vos côtés me semble une torture si douce et si agréable, que je ne peux y résister.

— N'en dites pas davantage, si vous êtes un gentilhomme convenable. Je ne saurai me laisser attendrir par un homme si aheurté dont je ne connais rien, et avec lequel je n'ai aucune raison de me mêler. Mère entretient de grands espoirs vis-à-vis de mon mariage, je ne peux me laisser aller à des aventures sans vertu. »

Espérant avoir été d'une clarté limpide, la jeune fille le quitta définitivement, le cœur toutefois bien plus lourd qu'elle ne l'aurait espéré, et ne l'avait supputé.

Après cette confrontation inattendue, Mademoiselle de Sarrin se mis à rencontrer M. de Nancy à toutes les occasions possibles, et ce toujours tout à fait au hasard. La troisième fois où elle le vit, fut à l'occasion d'une réception donnée pour le deuil de l'un de ses oncles, qui les avait quittés des suites d'une terrible maladie. M. de Nancy lui fit une si bonne impression, qu'elle eut tout le mal du monde à repousser ses avances avec politesse. Petit à petit, au fil de leurs rencontres, Madame de Sarrin remarqua ce jeune homme qui semblait vouer à sa fille un amour très affecté. Un soir, alors que Mademoiselle de Sarrin lisait dans sa chambre, sa mère vint la questionner à ce sujet. Elle lui demanda qui était cet homme qui la courtisait avec tant d'ardeur que toute la cour en avait connaissance, et pourquoi semblait-elle si réticente à ses avances. Sa fille lui répondit qu'il n'était qu'un jeune homme entiché d'elle, mais qu'elle n'avait pour lui aucun sentiment, aucune inclination, et que Madame de Sarrin n'avait rien à craindre pour sa vertu. Voir sa fille si appliquée à être vertueuse consterna Madame de Sarrin, qui voyait en l'amour une chose très belle et qui devait être savourée lorsque le mariage ne se présentait pas encore. Elle aurait aimé que sa fille connaisse un amant, avant de monter sur l'échafaud et de se lier à un autre. 

Mademoiselle de SarrinWhere stories live. Discover now