Prologue

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J'arpente ma chambre depuis une heure. L'intensité de la lumière qui inonde la pièce m'indique que le soleil est déjà haut dans le ciel, signe que je vais enfin pouvoir me mettre en route. La perspective de retrouver Alaric m'électrise autant qu'elle me tourmente. Un sourire béat m'échappe, vite remplacé par un soupir de frustration.

La situation serait tellement plus simple si nos familles n'étaient pas ennemies et si nos rencontres ne risquaient pas de passer pour de la trahison. Un nouveau faux pas, une énième réprimande de la part de mon géniteur signerait la fin de nos rêves de liberté. 

J'entrouvre la porte, à l'affût du moindre bruit. Le silence règne dans la maison, apaisant ma crainte d'être démasquée. Je ne perds pas une seconde, m'empare du sac en toile suspendu à la poignée, puis file dans la chambre de mes frères. Là, je m'empare d'un pantalon et d'une chemise - vêtements que je troquerai contre ma robe de lin beige une fois que je serai à l'abri des regards - et les range dans le bagage.

Je gagne ensuite la pièce principale où m'attend un repas sur la longue table en chêne : une miche de pain et des fruits. Les aliments rejoignent aussitôt la tenue au fond du sac. Pressée de retrouver Alaric, je me remets en route sans perdre un instant.

— Azeria ? m'interpelle ma mère, ma main déjà sur la poignée de la porte.

Je fais volte-face et affiche un aplomb que je ne ressens pas. Je ne m'attendais pas à la voir. D'habitude, elle ne quitte la pièce où elle pratique la magie qu'à la tombée de la nuit. Seul le retour de mon père ou celui du benjamin de notre famille peuvent l'en déloger plus tôt.

L'inquiétude perle dans ses grand yeux verts identiques aux miens, mais je décide de l'ignorer. À quoi bon ? Mes frères aînés et moi avons appris il y a bien longtemps à nous débrouiller seuls. Elle soupire, visiblement épuisée. Je cesse aussitôt mes enfantillages et la regarde enfin. Ce que je vois me brise le cœur, malgré l'amertume que je lui voue parfois.  Ses cheveux d'ordinaire lumineux sont à présent ternes et ses traits vieillis par l'angoisse que génère le conflit avec le village voisin.

— Tu sors ?

Son ton, de même que son regard, sont soudain suspicieux alors qu'elle s'approche d'un pas lent.

— Oui, je...

Je ne termine pas ma phrase. Quoi que je dise, elle n'en croira pas un mot. En fait, son expression n'indique qu'une chose : elle sait. Pourtant, en cet instant, je ne perçois en elle que douceur et bienveillance.

— Fais attention à toi. D'accord ? m'intime-t-elle dans un murmure, une main posée sur mon épaule.

— Comme toujours !

— Tu sais ce que je veux dire... reprend-elle dans un sourire conspirateur. Tu portes ton amulette ?

J'opine avant de dévoiler l'émeraude dissimulée sous le col de ma robe. Elle m'a offert ce collier il y a plusieurs jours de cela. Tout d'abord sur la défensive, j'ai ensuite pris ce présent pour ce qu'il était vraiment : une tentative désespérée pour me protéger. Peut-être de moi-même, je ne sais pas. Dès lors, je ne l'ai plus quitté. Il est l'unique preuve de l'amour qui nous lie et dont j'ai toujours douté au vu de la symbiose entre elle et mon petit frère, Dalian. Aussi loin que je me souvienne, il a toujours été son enfant chéri, le seul capable de lui rappeler la beauté de notre monde, là où nous autres avons échoué. Il est extension d'elle-même.

— Ne la quitte jamais, elle t'aidera plus que je ne pourrai le faire, ajoute-t-elle, la mine grave.

Elle porte une main à ma nuque, là où est noué le cordon. Une chaleur dérangeante s'en dégage. Je sursaute presque, puis m'écarte.

Jeu d'âmesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora