Chapitre 15

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Comme il fait encore chaud ce soir, je me suis assise sur la terrasse pour écrire à Apolline. Ma mère est partie chercher mon père à l'hôpital, ils rentreront dans une heure probablement. Ça me laisse même le temps d'aller poster la lettre. Un rayon de soleil caresse le papier et mes doigts. J'ai l'impression que tout m'effleure.


« Chère Apolline,

J'avais l'impression d'être la Loire elle-même, debout sur ces pierres à observer le ciel. J'aime bien m'oublier un peu dans le paysage. C'est un lieu qui dégage une atmosphère si douce et si tranquille. Si je le pouvais j'écouterais sans cesse l'eau s'écouler entre les pierres et le vent entre les feuilles. Je crois que je pourrais rester des heures là-bas. Je crois que j'aimerais y revenir, peut-être même pour y admirer le lever du soleil ? Tu as dit que le coucher y était splendide alors je suis certaine que l'aube aussi. Ça ferait un joli plan pour notre film, et puis une belle manière de commencer la journée.

Je suis désolée je ne suis pas très adroite avec les lettres comme avec tout, mais c'est moins pire qu'au téléphone.

Je te souhaite une bonne soirée. À demain après-midi !

Ton amie, Thalie »


Je relis la lettre de nombreuses fois, remplace chaque fois un mot ou change une virgule de place, puis finis par n'en plus pouvoir et la glisse dans une enveloppe. Ma caméra à la main, je me mets en route vers le manoir en souriant un peu. Je suis légère ; dans ma poitrine j'ai un cœur de feuillage.


Je suis rentrée chez moi depuis une demi-heure seulement, et je m'impatiente déjà. J'ai coupé quelques fleurs du jardin pour décorer la cuisine, et j'ai même pu préparer une partie du repas de ce soir. Je suis assise à la table, la porte ouverte pour aérer un peu. J'ai apporté un livre mais je le quitte au moindre bruit, espérant voir arriver mes parents. Quand enfin le vrombissement lointain d'un moteur se fait entendre, je bondis de ma chaise et me précipite au jardin. Le véhicule se gare et mon père a à peine le temps de sortir de la voiture que je saute dans ses bras. Il éclate de rire. Je me sens incroyablement soulagée. Il me serre contre lui avec force. Quand il me dépose à terre, j'étreins ma mère. Nous rentrons à la maison et mon père raconte son séjour à l'hôpital avec beaucoup d'humour pour me rassurer. Il se plaint de la nourriture et de la vue de sa chambre, décrit la personne avec qui il la partageait, évoque quelques anecdotes. Je l'écoute, ris souvent – ma mère aussi. C'est un excellent moment. Nous nous sommes installés dehors, où il fait tiède. Les arbres nous entourent d'un bruissement protecteur. Le crépuscule s'annonce, et le feuillage me le cache heureusement. La conversation égaie l'heure tardive. À la fin du repas, lorsque mon père est certain de m'avoir rassurée par rapport à sa santé, il s'enquiert de ce qu'il a raté pendant son absence. J'annonce aussitôt :

– J'ai revu Apolline !

– Il faudra que tu la ramènes plus souvent à la maison, répond-il en souriant. Elle a l'air d'être une fille formidable.

– Elle l'est. Elle aime bien le cinéma, comme moi. On se donne des films à regarder, on s'est échangé une liste. Et puis on va en faire un ensemble !

– Un film ? Sur quoi ? demande ma mère.

Elle a posé son visage dans ses mains et ses coudes sur la table. Elle a les yeux brillants, comme si ma joie s'y reflétait.

– On ne sait pas encore.

– Qui jouera dedans ?

– Personne. C'est moins beau que la nature, un humain, et on veut faire un beau film.

Fleuve roseWhere stories live. Discover now