Chapitre 16

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Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu autant de raisons d'être heureuse. Alors qu'Apolline vient de me quitter pour faire route vers le manoir, et que je file en direction l'île, je ne me suis jamais sentie aussi bien. Je pédale à toute vitesse. J'ai à peine eu le temps de me réjouir d'avoir vu Apolline que j'ai hâte de retrouver mes tantes. Je longe la Loire, traverse le petit pont, file sur l'asphalte puis la terre, dépasse le verger et freine devant le portail. Sur la terrasse, mes parents, Imani et Hanna sont déjà réunis autour de la table. Quand mes tantes m'aperçoivent, elles s'exclament :

– Thalie !

En souriant et en me faisant de grands signes de la main. Je dépose le vélo au bas des escaliers, et monte deux à deux les marches pour me jeter dans les bras d'Imani. Elle me serre contre elle le plus fort possible.

– Thalie ! Je suis contente de te revoir.

Je ris. Hanna pose une main dans mon dos.

– Tu nous as manqué !

– Vous aussi ! Comment ça va ?

En répondant, Imani tire une chaise pour que je prenne place entre elles. Elles posent chacune un bras autour des mes épaules. Hanna me répète à quel point elles sont heureuses de me retrouver, et me tend son verre de jus d'orange pour que je boive un peu. Assoiffée je le termine, ça la fait rire. Mon père reprend la conversation que j'ai interrompue :

– Pour en revenir à notre discussion, je me remets doucement. On verra comment ça se passe à l'avenir, mais pour l'instant, tout va mieux.

Mes tantes s'en réjouissent. À côté de son époux, ma mère, frileuse, enfile un pull.

– Il faudra que tu nous fasses lire ton roman d'ailleurs, plaisante à moitié Imani en saisissant la bouteille de jus de fruits pour resservir Hanna.

Mon père rétorque, amusé :

– Peut-être. C'est plus thérapeutique qu'autre chose, je ne suis pas sûr que ça soit très bon. Ça me fait du bien de me plonger dans un univers irréel.

– On en a tous besoin, on le fait tous à notre manière, l'approuve ma tante.

Elle se tourne vers ma mère.

– Vous avez l'air de vous plaire ici, en tout cas. Je suis contente que la maison vous convienne.

Ma mère s'empresse de la remercier :

– Encore une fois, c'est très gentil de nous la prêter.

– Je t'en prie, Christine, c'est normal !

Hanna nous demande si nous avons rencontré quelques personnes. Je réponds aussitôt :

– Je me suis fait une amie ! Apolline, elle habite dans le manoir qui surplombe le village.

Mes tantes hochent la tête. Montjean est un si petit village qu'elles le connaissent forcément.

– On s'est rencontrées par hasard, et elle adore le cinéma comme moi. On va faire un film ensemble !

Les adultes rient. Ça leur semble certainement irréaliste, voire irréalisable, mais je ne perds pas contenance. J'ajoute même :

– J'ai tourné des plans à vélo cet après-midi d'ailleurs, vous voudrez voir ? J'ai failli tomber en filmant mais ça vaut le coup.

Ma mère suggère que je nous les montre pendant le repas. La conversation dévie ensuite vers d'autres sujets. Je participe peu – avoir vu Apolline m'a quand même fatiguée. J'observe surtout mes tantes, tour à tour, pour réaliser pleinement qu'elles sont là. Je contemple leurs sourires. J'admire Imani, la largeur et la douceur de sa silhouette, les perles de bois peint à son cou, ses lunettes rondes qui écarquillent ses yeux ; j'admire Hanna, son costume aussi bleu que le ciel qui nous surplombe, les fossettes qui creusent ses joues, la montre à son poignet arrêtée depuis longtemps et irréparable, mais qu'elle garde puisque c'est un cadeau de son épouse. Elles rayonnent. Je suis sereine rien qu'en posant les yeux sur elles. Quand la lumière décline tout à fait, Hanna propose à mon père de l'aider à préparer le dîner. Ma mère s'éclipse car elle a un appel à passer. Imani me propose :

Fleuve roseWhere stories live. Discover now