Chapitre 23

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[TW crise d'angoisse]



Nous finissons de manger tard dans la soirée. Le repas a été enjoué, presque cacophonique, avec le bruit des couverts et la musique en fond. Tandis que Flora et Lucas débattent à propos d'un artiste que nous ne connaissons pas, Apolline et Quentin discutent de leur côté. J'essaie de participer un peu, mais je n'en pas l'énergie. J'écoute au moins. Peu à peu mon sourire s'estompe. Je me referme comme une fleur le soir. Je jette de nombreux coups d'œil à la pendule fixée au-dessus du canapé. Ça me demande un effort immense d'être ici, dans cette pièce, entourée de ces personnes. Je suis éreintée. Une heure entière s'écoule. Apolline me demande plusieurs fois si je me sens bien et j'acquiesce sans rien dire. Je sais très bien qu'une crise d'angoisse approche, mais je le refuse. Il faut que je tienne jusqu'à la fin de cette interminable soirée. Je ne me le pardonnerai jamais sinon. Je respire avec difficulté. Ma jambe tressaute. Je jette des coups d'œil autour de moi. Le salon est trop étroit, je m'y sens emprisonnée. J'ai l'impression de ne pas pouvoir fuir s'il y a un danger et il y en a forcément un qui approche si je suis aussi terrifiée. Ça ne peut pas être que parce que je suis avec des gens que je ne connais pas. Que parce que je suis à une soirée.

– Thalie ? Tu veux sortir ?

J'ai du mal à lever les yeux sur Apolline, mais quand elle croise mon regard elle s'inquiète aussitôt. Elle bondit du fauteuil et me prend par le bras.

– On va aller visiter un peu le jardin, Thalie. Viens.

Je tremble quand elle me touche. Quelqu'un demande à Apolline si elle a besoin d'aide, elle fait non de la tête en m'entraînant avec elle. J'ai du mal à la suivre. Je voudrais ne pas abandonner. Je voudrais être assez forte pour rester (mais je gâche toujours tout).


Elle ouvre une porte à l'arrière de la cuisine et m'aide à sortir de la maison. Je m'effondre sur la terrasse, mais je parviens à m'asseoir dans l'herbe en prenant appui sur Apolline. Je fonds enfin en larmes. Elle me prend dans ses bras. Je me tords pour observer tout autour de moi, pour trouver une échappatoire qui n'existe pas. J'ai l'impression de retrouver cette sensation de fin du monde. Apolline me serre plus fort. Je ferme les yeux.

– Est-ce que tu peux me dire où on est ? Et qui je suis ? Pour me rassurer ?

Je tremble dans ses bras, mais réussis à répondre :

– Chez Flora. Tu es Apolline.

Elle hoche la tête.

– Oui. On est chez Flora, dans le jardin, murmure-t-elle. Il est un peu plus de minuit. Il y a Quentin et Lucas aussi, que tu avais brièvement rencontrés. On a mangé. On va peut-être regarder un film. Il fait doux ce soir, et on voit bien les étoiles.

Elle prononce chaque syllabe avec précaution, comme si elles étaient très fragiles.

– Regarde, si tu lèves un peu la tête tu peux voir la Grande Ourse.

Je me recroqueville contre elle, les yeux clos. J'ai trop peur pour les ouvrir, mais je bégaie :

– Il y a vraiment des étoiles ? Qui ne se rapprochent pas, qui ne vont pas s'écraser sur nous ?

– Elles sont très immobiles. Et très belles. Je te le jure.

Ses mains caressent mon dos en y dessinant des fleurs. Elle prend son timbre le plus nocturne, elle qui est si solaire, pour me décrire le ciel et le jardin tout autour de nous. Cela me rappelle les conversations que nous avons lorsque nous dormons chez l'une ou chez l'autre, et un sentiment de sécurité commence à disperser imperceptiblement ma terreur. Apolline imagine la couleur des hortensias, puisqu'elle ne parvient pas à la distinguer dans l'obscurité. Elle parle du ciel entier, en détaille chaque lueur et chaque nuage pour me rassurer. Elle voudrait que les arbres ne le dévorent pas tant, pour mieux le contempler. Elle loue l'éclat des astres dont elle aimerait pouvoir se parer.

Fleuve roseWhere stories live. Discover now