Le Maître des Dragons : La Vallée Oubliée

Éclosion

Yselda fut escortée jusqu'à la salle du trône, Nathaniel avait demandé à ce qu'elle soit constamment surveillée. Marcher avec cette robe et ces jupons n'était pas une mince affaire, mettre un pied devant l'autre sans trébucher relevait du miracle. Elle avait pour habitude de porter une lourde amure sur les épaules, des bottes, des culottes et une épée. Néanmoins, savoir que sa barrette était suffisamment pointue pour percer la gorge d'un individu la rassurait. Yselda avait toujours vécu ainsi, armée et prête à se battre quoi qu'il arrive.

Dans la salle, les convives y discutaient en attendant le roi, elle était pleine et la queue allait jusqu'à dehors. En plus d'annoncer son mariage, c'était le jour pour le peuple de quémander au roi. Une chose que Djafar faisait rarement et lorsqu'il le faisait, il refusait tout ou alors, il exécutait ceux qui haussait le ton sur lui. Nathaniel le faisait occasionnellement et avait toujours tenté de régler les conflits.

Désirée saisit la main d'Yselda et l'entraîna avec elle. Elles restèrent au deuxième rang et la jeune femme ne lui lâchait pas la main.

— J'ai longtemps vécue recluse dans ma petite chaumière sur l'île, vivre tout cela me paraît irréel.

Yselda la regarda longuement, elle la détailla. Désirée était une belle femme si on en oubliait sa peau aux multiples rougeurs et boutons, malgré cela, elle gardait une certaine beauté et pureté non négligeable.

— Ce monde n'est pas un conte de fée, répondit la guerrière. En réalité, il est fait de mensonge, de sang et de violence. Un roi a plusieurs facettes mais n'en montre qu'une à son peuple pour ne jamais perdre leur admiration. Monter sur un trône, c'est vouloir être aduler pour se sentir exister parce que rien d'autre dans son existence ne lui permet de se sentir vivant.

— J'ai songé au roi et à ses erreurs, la façon dont il nous a accueilli mais il m'a laissé une seconde chance. Il est clément et à l'écoute. Tu n'es pas enfermée dans les cachots à l'heure qu'il est, tu es avec moi, dans la salle du trône. Tu peux avoir une vie paisible.

— Peut-être que ta vie te convient mais ce n'est pas le cas pour moi. Je ne veux pas porter des jupons, je ne veux pas me maquiller et me coiffer tous les matins. Je ne veux pas qu'on me fasse la cour, je veux me battre et défendre le monde dans lequel je vis pour que vous, vous soyez en paix. Je veux risquer ma vie, ressentir l'adrénaline, la peur, je veux mourir s'il le faut en me battant. Moi, c'est ainsi que je me sens vivante et exister.

Désirée la considéra un long moment puis baissa les yeux. Nathaniel entra dans la salle accompagné de Theobald qui était à présent main du roi en plus d'être le Seigneur de Paraviel, il s'assit sur son trône et les premiers paysans s'avancèrent jusqu'à lui. Genou à terre, main sur celui-ci, regard suppliant, ils quémandèrent tous à peu près les mêmes choses, ils se plaignirent des mêmes problèmes. Des voisins trop compétitifs, des récoltes trop pauvres, pas assez de nourriture, un voleur qui rôde autour de chez eux, des femmes violées, des pilleurs en liberté... les problèmes basiques d'un monde chaotique.

— Trois pirates sont venus chez moi hier soir, Majesté, commença un homme crasseux. Ils ont pillé tous mes biens, ils ont battu ma femme et l'ont violé jusqu'à ce qu'elle ne bouge plus. J'ai été forcé de regarder, je n'ai eu d'autre choix que de la voir et l'entendre hurler. Elle ne sort plus de son lit, elle est épuisée, je ne sais pas si elle passera la nuit.

Nathaniel le toisa un moment quand Yselda, elle, sentit son cœur se serrer, il frappa sa poitrine et des frissons parcoururent son échine. Les pirates, rien que le nom qu'on leur donnait la faisait bouillonner. Ces hommes étaient des ordures, les hommes que Théobald avait ramené, ces mêmes hommes qui avait fait d'elle leur jouet. Contrairement à cette pauvre femme, Yselda avait été plus forte qu'eux, elle ne s'était pas écroulée mais combien de femmes avaient survécu ? Trop peu.